Tout d’abord un résumé très rapide de ma course à Roth : une très bonne natation (pas de problèmes d’orientation, eau chaude, ça aide…), un bon vélo, un bon marathon en 4h20 où je ne marche qu’aux ravitaillements, total 11h52, 30 minutes gagnées par rapport Zurich 2004… Je finis très heureux mais vidé mentalement, tellement j’ai « tiré sur le cerveau » pour ne pas marcher. A l’arrivée je dis à mon amie Anne (après l'avoir embrassée

Dès le lendemain soir j’ai déjà changé d’état d’esprit et j’ai envie d’aller à Embrun, donc je me remotive déjà en essayant de tout faire pour récupérer au mieux.
Pendant la semaine après Roth je me lâche un peu au niveau diététique histoire de me faire plaisir. Je récupère mieux qu’après Zurich en 2004, dès le jeudi je ne me sens plus vraiment fatigué et je n’ai plus mal aux jambes. Le dimanche suivant je vais nager, je trouve l’eau très dure (au point de me demander si des fibres de béton n’ont pas été ajoutées à l’eau…)
15 jours après je reprends des petits entrainements : tout petits footings, petites sorties vélo lentes.
3 semaines après je reprends un entrainement un peu plus conséquent en natation et tout va bien. Le 2 août je fais 140km à vélo dans la montagne de Reims et tout va bien.
Dernière semaine sur place à Embrun, reconnaissance de l’Izoard le lundi précédent puis de la première boucle après la sortie de l’eau le mercredi, les braquets sont adaptés. Ensuite repos, je sens que physiquement j’ai récupéré, tout va bien et j’ai hâte d’être au jour de la course.
Et puis vient le jour de la course. Lever 3 heures, 6 degrés à Crévoux à notre gite, en arrivant à Embrun à 4h15 c’est à peine mieux, 8 degrés.
Préparation dans le parc, il fait froid et sombre, et je me sens un peu plus angoissé qu’à Roth.
5h50, les filles partent, au moins ça ne tabassera pas trop dans l’eau. En effet vous ne le saviez peut-être pas mais dans les triathlons ce sont les filles, sournoisement déguisées en brutes épaisses, qui donnent le plus de coups.

On se rapproche du départ, on est debout dans l’herbe humide et il fait froid. Vivement l’eau…
6h le départ, il fait toujours nuit, je suis le paquet avec les « conquérants de l’arrière », mais dès que le paquet est un peu moins gros j’ai du mal à m’orienter. Premier enseignement de la journée : la nuit, on voit moins bien que le jour.
Au deuxième tour je commence à avoir froid et je suis pressé d’en finir. Total 1h17, 6 minutes de plus qu’à Roth mais vu le froid et les erreurs d’orientation que j’ai faites je limite la casse.
En sortant de l’eau je me rends compte que finalement l’eau n’était pas si froide, par rapport à l’air. Je mets trois plombes à me changerparce que je tremble, je tente de respecter la pudeur en regrettant les bons moments de Roth où nous étions des centaines d’hommes, nus, au milieu de bénévoles allemandes jamais épilées nous aidant complaisamment à oter nos slips de bain

J’enfile coupe-vent et manchettes et je finis par réussir à partir après une transition de plus de 10 minutes… Hum hum…
Heureusement que les organisateurs ont bien fait les choses pour permettre aux concurrents de se réchauffer : 100 mètres de plat et voilà la première bosse, je suis déjà à 175 pulsations par minute, ça promet.
Mais une fois parti, je prends le rythme et ça va plutôt bien. Le paysage est magnifique, on a une très belle vue sur le lac et on en voit encore qui nagent. Content d’être là où je suis !!!
Tout va bien jusqu’au pied de l’Izoard, dans la vallée du Guil il y a du vent latéral qui vient de la gauche mais j’arrive quand même à avancer. Puis on tourne à gauche pour commencer l’ascencion de l’Izoard, donc si vous avez bien suivi vous comprenez tout de suite que pour monter l’Izoard on a le vent en pleine poire (ceux qui y étaient s’en souviennent…). Comme tout le monde je mets tout mon poids sur les pédales pour avancer à 7 kilomètres heure, ça va être long. Je me console en me disant que si on a le vent dans le nez à l’aller on l’aura peut-être dans le dos au retour… mais comme chacun sait, en matière de vent rien n’est mathématique.
Effectivement le temps semble long pour atteindre le sommet. Une fois là haut, je suis soulagé car je suis nettement dans les délais, j’ai le temps de m’arrêter pour manger mon casse croute, remettre de la crème solaire et réajuster mon cuissard pour ne pas refaire le coup de Roth où j’avais la jambe droite de biais, ce qui s’est bien vu ensuite avec le coup de soleil. Les bénévoles sont charmants, m’amènent rapidement mon petit sac, me mettent du journal sur le torse (c’est pas encore tout à fait les tentes de Roth mais on progresse…), me remplissent mes bidons et m’encouragent.
Je repars, 20 km de descente mais je ne peux pas vraiment dire que ça m’ait reposé. Il y a des parties de faux plat où il faut rouler, ça commence déjà à être long.
Après Briançon, succession de petites montées et descentes, rien de trop méchant et chance, j’ai effectivement le vent dans le dos !
Arrive la côte de Pallon, km 140, c’est raide mais ça ne dure pas trop, je sais que c’était l’avant-dernière difficulté sérieuse et ça me rassure un peu
Et soudain… le drame… Le vent est en train de tourner : un vent chaud du sud remplace le vent du nord qu’on avait dans le dos. Les petites parties de plat dans la vallée de la Durance et le faux-plat montant ramenant de Saint Clément sur Durance à Embrun deviennnent un vrai cauchemar. En plus il commence à faire chaud, je commence à avoir soif, et je réalise soudain que mon hydratation et mon alimentation n’ont pas été des plus régulières. Je m’inquiète un peu pour la suite… Je commence à douter de ma faculté de repartir à pied.
Arrive le pont sur la Durance, je croise Cyrille Neveu à pied, apparemment pas au mieux. Je calcule rapidement qu’il est au km 30 en 10 h, donc qu’il n’est pas en course pour la victoire… Dommage. Je me dis qu’il ne s’est sans doute pas remis de Roth… et je m’inquiète davantage encore pour moi.
On rentre dans Embrun… pour en ressortir et monter à Chalvet.
On m’avait bien parlé de Chalvet. Mon pote Marc m’avait dit attention, il y a une dernière côte dure à la fin du parcours, garde des forces. Chalvet, c’est juste à la sortie d’Embrun, j’aurais pu aller regarder à quoi ça ressemblait, mais je n’ai pas pris le temps, et je m’en repens. Je m’attendais à une côte de 1 ou 2 km assez raides, en fait il s’agit de 5 km très très raides !!! Ne sachant pas où ça finit la montée me paraît très longue, elle est en plein soleil, j’ai soif, mon état d’hydratation ne me semble vraiment pas bon, je suis quasiment prêt à faire demi-tour. Je croise Anne mon amie

Le sommet arrive finalement, mais j’ai vraiment l’impression que cette dernière côte m’a achevé, physiquement mais surtout moralement. J’essaie de profiter de la descente pour récupérer (pas évident car la descente est bourrée de trous et fait mal aux bras) et me motiver pour partir à pied. Je tourne et retourne la décision dans ma tête, je ne sais pas quoi faire. Arrêter après le vélo, essayer de partir ?
Je fais mes petits calculs. Je sais que si tout va bien j’en ai pour 5 heures. Mais je suis loin d’être sûr que tout ira bien, et je risque d’en avoir pour 6 heures ou plus. A ce moment mon marathon de Roth me revient en mémoire. 4h20 où tout s’est bien passé, mais où j’ai fini vidé mentalement car je m’étais battu avec ma tête pendant ces 4h20 pour ne pas marcher. En arrivant j’étais heureux, mais j’avais dit à Anne que je ne me voyais pas être capable de refaire ça un jour, je ne croyais pas être capable de retrouver les ressources mentales pour courir un marathon après 180 km de vélo. Bien sûr il y avait la fatigue, dès le lendemain j’avais envie d’aller à Embrun, mais j’avais peur de retrouver ces sensations de douleur aux jambes et ce combat mental. Et voilà que je me retrouvais dans la situation de devoir partir pour un marathon après une natation pas évidente et 188 km de vélo très éprouvants.
J’arrive au parc à vélo. Je vais essayer de partir, quand même. Je me change, lentement. Un bénévole chaleureux me propose de me masser, je dis non car je n’ai pas l’habitude et je ne sais pas ce que ça peut faire. En revanche je lui demande de me mettre de la crème solaire sur les jambes. Ce n’est toujours pas l’ambiance de débauche des tentes de Roth mais bon, c’est déjà bien d’être aidé…
Je pars, je fais 500 mètres, les jambes pourraient tourner mais je continue à garder en mémoire mes sensations de fin de marathon à Roth, la fatigue mentale et physique. Je m’arrête au milieu d’un couloir de spectateurs. On m’encourage mais je sais que je ne pourrai pas repartir. Je ne suis pas capable, ce jour-là, si près de Roth de repartir pour un marathon. Je fais demi-tour au milieu des spectateurs, on me regarde d’un air triste, on m’encourage, j’essaie de sourire aux gens pour montrer que j’ai accepté et que ce n’est pas si grave. Un type me dit : « Allez, c’est dans la tête ». Tu l’as dit bouffi, j’ai envie de lui dire que je suis bien placé pour le savoir. Peut-être qu’il le sait aussi, qu’il a fait 10 fois Embrun, ou qu’il ne l’a jamais fait… Peu importe, je n’ai pas envie de discuter…
Je rentre au parc à vélos, je rends ma puce et mon dossard et je vais m’asseoir sous un arbre, à l’ombre, en mangeant un gâteau de riz Yabon. Je réfléchis encore, je suis déçu mais je sais déjà que j’ai pris la bonne décision. C’est un loisir, un loisir qui fait mal parfois, mais qui ne doit pas faire mal de façon excessive non plus. Le plaisir doit rester présent, et je sais que je n’en aurais eu aucun pendant ces 5, 6, 7 heures peut-être. Je sais que je risquais de me faire mal, physiquement et psychologiquement, et que je n’avais rien à prouver, ni à moi-même ni aux autres. J’avais déjà été courageux sur d’autres courses, et j’avais eu raison d’être prudent aujourd’hui. Je savais aussi que j’allais continuer à regretter quelque temps, que je me dirais que j’aurais pu essayer davantage, mais je sais que j’ai eu raison de remettre à plus tard la fin de mon premier Embrun.
Pour finir il aurait fallu que je ne me souvienne plus de la difficulté qui m’attendait, que Roth soir un peu plus loin derière moi, pour pouvoir aller au bout en ayant du plaisir à donner le maximum.
Ma conclusion : récupérer physiquement va plus vite que de récupérer mentalement… pour moi, 6 semaines entre deux IM était un délai trop court.
Je reviendrai pour tenter ma chance à nouveau à Embrun, car j’ai adoré l’ambiance de la course, et quelles que soient les critiques que l’on peut faire sur l’organisation ou sur les gens présents sur le site la semaine précédente, cette course ne peut que faire rêver. Mais je reviendrai en faisant en sorte d’être frais mentalement, en ne faisant que cette course-là dans l’année.