Comment contrer la Sky ?
Même si la défaillance de Porto Sant’Elpidio, lundi, est venue tempérer ce jugement, l’impression laissée par Sky ce week-end sur la Montagne de Lure, à Paris-Nice, et Prati di Tivo, sur Tirreno-Adriatico, a marqué les esprits. Existe-t-il une parade tactique au rouleau-compresseur britannique ? Velochrono a posé la question à deux observateurs majeurs du cyclisme professionnel, Jacky Durand et Cédric Vasseur.
Durand : « Il y a toujours une parade, mais… »
Vendredi 8 mars, Montagne de Lure, 5e étape de Paris-Nice. Kanstantin Siutsou imprime le tempo au pied, puis il est relayé par David Lopez. Peu avant la flamme rouge, Richie Porte attaque et finit le travail : victoire en solitaire et maillot jaune, qu’il ne lâchera plus. 24 heures plus tard, Prati di Tivo, 4e étape de Tirreno-Adriatico. Dario Cataldo, Rigoberto Uran et Sergio Henao font le ménage dans le peloton et emmènent dans un fauteuil Chris Froome : le Britannique attaque à la flamme rouge et s’impose. Deux jours plus tard, l’hégémonie Sky sera renversée sur la folle étape de Porto Sant’Elpidio par Vincenzo Nibali, mais le constat demeure : sur les arrivées au sommet, la formation de Dave Brailsford dicte sa loi. « C’est la force globale de l’équipe qui est impressionnante, juge Cédric Vasseur, qui a commenté l’épreuve italienne pour BeInSport. Les Sky ont très bien roulé sur l’étape de Prati di Tivo : ils avaient de bonnes informations sur l’ascension finale, où le vent était défavorable, et Chris Froome a donc attendu le dernier kilomètre pour porter l’attaque fatale. »
Quand on regarde les bilans depuis le début de saison, ce n’est pas Sky qui gagne le plus, mais quand c’est un gros objectif, ils sont là. (Durand)
Cette double démonstration a marqué, mais elle n’est en fait que la confirmation de ce que l’on voyait déjà en 2012, sur le Tour ou le Dauphiné notamment. « Même s’ils ne gagnent pas partout, ils savent se fixer des objectifs précis sur les courses World Tour et les remplir, note Jacky Durand, qui commentait lui Paris-Nice sur Eurosport la semaine passée. Quand on regarde les bilans depuis le début de saison, ce n’est pas eux qui gagnent le plus (huit succès contre treize pour Omega Pharma – Quick Step, ndlr), mais quand c’est un gros objectif, ils sont là. Et puis, il suffit de regarder les compositions d’équipe : combien de coureurs dans l’effectif de la Sky ont déjà fait un top 20 sur un grand tour, ou sont capables de le faire ? Il n’y a pas beaucoup d’équivalent dans le peloton, et ça, c’est la force du budget. » D’où le sentiment de fatalité qui peut parfois habiter les autres équipes ou les suiveurs… « Il y a toujours une parade, mais le problème dans le cyclisme moderne, c’est que si Sky prend l’eau sur n’importe quelle course, on va retrouver d’autres équipes pour rouler, poursuit Durand. Alors que si une coalition anti-Sky voit le jour… C’est vrai que l’an passé, ils étaient impressionnants sur le Tour, mais le parcours s’y prêtait, et il y avait sans doute moins d’adversité qu’il n’y en aura en 2013. »
Vasseur : « Psychologiquement, Sky a pris un coup »
Samedi, Alberto Contador a bien tenté d’enrayer cette belle machine en attaquant à six kilomètres du sommet. En vain… « C’est peut-être suicidaire en début de saison, quand on n’est pas à 100%, mais en juillet, sur les routes du Tour, Uran et Porte seront-ils capables de le maintenir à 15 secondes ? », s’interroge Jacky Durand, qui veut croire à la viabilité de cette tactique. Opinion radicalement différente de Cédric Vasseur : « Ça ne sert à rien du tout, c’est le genre de truc à ne pas montrer dans les écoles de cyclisme. Une bonne attaque de Contador peut être décisive lorsqu’il y a eu un travail d’écrémage de son équipe auparavant, que tout le monde est à la rupture, que les pentes sont plus abruptes et qu’il n’y a pas de vent de face… » « Si d’autres attaquent avec lui, c’est là qu’il peut y avoir une faille, reprend Durand. En tout cas, on n’est qu’en mars, Contador n’est pas au top, la Sky on ne sait pas : il faut se méfier des conclusions hâtives. »
Il faut simplement leur laisser toute la charge de travail, et espérer une faute. C’est ce qu’il s’est passé lundi : en voulant tout contrôler, Sky a fini par se faire hara-kiri. (Vasseur)On la vu, d’ailleurs, dès lundi puisque le collectif Sky s’est rouillée sous la froide pluie des Marches. Bien sûr, il n’y aura pas toujours des pentes à 27% – surtout sur les arrivées au sommet – pour envoyer dans le décor un collectif aussi puissant que Froome-Uran-Henao-Cataldo, mais en accomplissant ce qui paraissait impossible, Vincenzo Nibali a ouvert une brèche qui fera date tout au long de la saison. « Je pense que psychologiquement, Sky a pris un coup, avance Cédric Vasseur. Ce Tirreno-Adriatico va probablement influencer les comportements futurs, rendre cette équipe un peu plus humble. Parce qu’à mon sens, c’est davantage Sky qui a fauté que ses adversaires qui ont réussi. Ils ont été victime de leur débauche d’énergie. Dans une course par étapes, une fois qu’on a fait son travail, on se relâche, on se relève, on récupère. Là-dessus, Uran ou Henao n’ont pas été bons, et c’est ce qui a coûté la victoire à Froome. » Pour lui, c’est la seule vraie chance face aux Sky : miser sur une erreur des Britanniques. « Il n’y a pas de parade face à une équipe aussi forte et structurée. Il faut simplement leur laisser toute la charge de travail, et espérer une faute. C’est ce qu’il s’est passé lundi : en voulant tout contrôler, Sky a fini par se faire hara-kiri »
Une domination crédible… pour l’instant
Il y a bien quelques fantasmes autour des SRM, ces capteurs de puissance que les coureurs de Sky sont accusés de ne pas quitter des yeux, ce qui leur permet d’imprimer ce tempo asphyxiant. Nibali proposait de les interdire ; Contador dit lui être venu sur Tirreno-Adriatico pour enregistrer des données SRM en vue d’établir une tactique pour la grande boucle… « Franchement, ce n’est pas l’idéal, Contador est un coureur d’instinct et il devrait le rester », s’étonne Jacky Durand. « Même sous le contrôle du SRM, on a vu que l’équipe pouvait prendre l’eau, relève Cédric Vasseur. Ça pourrait donner des idées. » L’une d’entre elles : aller concurrencer le train Sky avec un autre train, un peu comme dans le final des étapes pour sprinteurs. « Mais ça, ça ne peut que favoriser davantage des coureurs comme Wiggins ou Froome, s’étrangle Durand. Les purs grimpeurs doivent plutôt s’unir et dynamiter la course d’assez loin pour distancer un maximum de monde dans le final. Si tout le monde se met à faire un train, c’est la mort du petit cheval… » Pourtant, selon Vasseur, c’est bien vers quoi l’on tend. « Je pense que c’est ce qu’on aura sur le Tour : Saxo-Tinkoff vs Sky, avec BMC en deuxième rideau sans doute, chacun tentant d’imposer son rythme. Et ça va exploser de partout. » Une formule à double tiroir : dans un premier temps, cela favorise les rouleurs qui aiment avoir un tempo, mais vu que tout le monde se retrouve rapidement isolé, cela devient dans un second temps favorable aux offensives. « Cela reste théorique, mais c’est mon sentiment », confirme Cédric Vasseur.
Je pense que c’est ce qu’on aura sur le Tour : Saxo-Tinkoff vs Sky, avec BMC en deuxième rideau sans doute, chacun tentant d’imposer son rythme. Et ça va exploser de partout. (Vasseur)
Reste qu’au delà de l’aspect tactique, cette double démonstration n’a pas manqué d’éveiller les soupçons, qui s’étaient un peu tus depuis la fin du Tour 2012. La puissance des Sky est-elle crédible ? Pour Jacky Durand, la réponse est oui. « On peut toujours avoir des doutes, à la vue de ce qu’il s’est passé sur le Tour l’an dernier, mais il n’y a pas de surprises non plus. On avait beaucoup parlé de Christian Knees notamment, mais c’est un coureur qui a déjà fait top 20 sur le Tour (vingtième en 2009, ndlr) ! » « Avec le passé du cyclisme, immanquablement, quand une équipe brille sur plusieurs fronts, elle est obligée de faire face aux accusations de dopage, reconnaît sans détours Cédric Vasseur. C’est à eux de répondre à ces accusations. Il faut espérer que leur discours ne soit pas le même que celui de certaines équipes il y a dix ou quinze ans. Moi, je ne peux pas mettre ma main au feu pour Sky ni personne, il n’y a qu’eux qui savent ce qu’ils font. Mais, franchement, les coureurs qui brillent ne sont pas des inconnus. Ils ont déjà marché par le passé, ils progressent… Je pense qu’il faut attendre la suite de la saison. Très sincèrement, une équipe qui joue le jeu ne peut pas être à ce niveau toute l’année. Elle peut facilement faire ce qu’elle fait depuis le début de la saison. Mais dominer d’une telle façon de février à la fin du Tour… En tout cas, pour l’instant, pas de problème. Et ce qui donne du crédit à mon discours, c’est la défaillance de
I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!