Quand personne ne connaissait Cancellara
Après Jens Voigt mardi, au tour de son coéquipier chez RadioShack, Fabian Cancellara, de voir son début de carrière passé en revue par Velochrono. Le Suisse a toujours été considéré comme un champion en devenir, et ce dès ses années juniors. Il a confirmé par la suite en devenant l’un des meilleurs coureurs du monde. Mais beaucoup voyaient en lui un futur spécialiste des grands tours, voulant en faire un nouvel Indurain…
« Les courses nationales, c’était rare qu’il ne les gagne pas »
"Il a le tempérament d’un Italien sur le vélo !!
Yvan Girard est un entraîneur heureux quand en 1998, alors en charge des juniors suisses depuis un an, il a le privilège de travailler avec des garçons comme Gregory Rast, Michael Albasini ou… Fabian Cancellara. Il ne sait pas encore que ce dernier deviendra Spartacus, champion du monde du chrono, vainqueur de Paris-Roubaix et maillot jaune du Tour de France. Mais certains indices lui permettent de comprendre qu’il a sous la main un phénomène. Ils n’auraient échappé à personne : le Bernois a les cuisses deux fois plus grosses que les autres gars de son âge et ne connait pas souvent la défaite. « Les courses nationales, c’était rare qu’il ne les gagne pas, racontait Girard en 2007. Il balayait assez vite la concurrence et partait souvent pour des échappées solitaires de 50 kilomètres, en résistant au peloton. » Un jour, à La Verrerie, l’entraîneur national décide d’organiser des tests contre la montre. Cancellara n’a jamais cherché à mesurer ses aptitudes dans cette discipline. Il garde ce jour-là son vélo habituel mais on lui installe un guidon adapté à l’exercice. C’est alors que son « histoire d’amour avec les chronos est née », admet le coureur, qui deviendra champion du monde du chrono à peine quelques mois plus tard, avant de répéter l’exploit l’année suivante.
Quand en 2000, l’équipe Mapei, numéro une mondiale, décide de réserver plusieurs places dans son effectif à des jeunes très prometteurs, embarquer Fabian Cancellara dans le projet est envisagé mais ne sonne pas encore comme une évidence : il est un peu trop jeune, même si Filippo Pozzato, lui, est recruté à seulement 18 ans. L’Italien est compagnon de promo de Dario Cioni, Crescenzo d’Amore, Luca Paolini, Eddy Ratti, Antoni Rizzi, Laszlo Bodrogi, Kevin Hulsmans, Philippe Koehler et Charles Wegelius. Parmi ces dix coureurs, plus nombreux sont ceux qui feront une carrière discrète ou honorable que ceux qui deviendront des champions. C’est à compter de 2001 que la sélection de la Mapei se montre plus judicieuse. Moins de contrats peuvent être offerts à de jeunes talents car beaucoup ont été distribués un an plus tôt. La priorité est alors, enfin, d’envoyer Fabian Cancellara dans le grand bain – en même temps que Rogers, Petrov, Eisel, Sinkewitz… Il a été stagiaire durant l’été et a terminé deuxième du chrono des Mondiaux de Plouay alors qu’il était espoir première année. Le Suisse rejoint donc une équipe italienne pour ses premiers pas professionnels. Comme un clin d’œil à ses parents immigrés, qui sont arrivés d’Atella, de la province de Potenza, à leurs 18 ans. Cancellara comprend alors parfaitement la langue, même s’il l’utilise peu. « Mais il a le tempérament d’un Italien sur le vélo », jure papa Donato, fier que son fils ait signé dans la botte, et dont le rêve est alors que sa progéniture porte un jour le maillot rose de leader du Tour d’Italie.
On a voulu en faire un vainqueur du Tour
"J’étais tout seul pendant deux ans, à voyager partout dans le monde. J’étais apeuré, déprimé. Mais bon, j’ai quand même appris avec Mapei…!!
Chez Mapei, Fabian Cancellara se distingue surtout grâce à ses qualités de rouleur, ce qui n’étonne personne. Il gagne le GP Eddy Merckx, le GP Erik Breukink, le ZLM Tour, deux fois le Tour de Rhodes et son prologue… Les courses contre les « vieux » sont très rares. L’idée du « gruppo giovani » de l’équipe de Giorgio Squinzi est surtout d’avoir les champions de demain sous la main dès leur plus jeune âge pour qu’ils n’exportent pas leur talent ailleurs. C’est pourtant ce qui va arriver car en 2003, Mapei quitte le cyclisme sur décision de ce même Squinzi, auteur d’un volte-face motivé par le contrôle positif de Stefano Garzelli sur le Giro, alors que trois ans plus tôt, le Dottore avait déclaré qu’il était conscient qu’il était impossible de « terminer dans les cinq premiers d’un grand tour sans se doper. » Cancellara ne restera pas dans cette structure, reprise par Quick Step, et rejoindra Giancarlo Ferretti et sa formation Fassa Bortolo, tout comme… Filippo Pozzato. Il expliquera plus tard que ce changement d’air aura été la fin d’une période pas si facile : « J’étais tout seul pendant deux ans, à voyager partout dans le monde. J’étais apeuré, déprimé. Mais bon, j’ai quand même appris avec Mapei… J’ai passé du temps avec des coureurs qui avaient 30 ou 35 ans, qui avaient une famille. Ils m’ont aidé à me développer. Adriano Baffi, par exemple, avait vingt piges de plus que moi. Il s’entraînait beaucoup moins que moi et pourtant il me lâchait tout le temps… » Baffi est aujourd’hui le directeur sportif de Leopard-Trek, la réserve de Radio Shack, équipe où court désormais Fabian Cancellara. Et le nouveau patron du Suisse, qui a également été son sélectionneur national, Luca Guercilena, était entraîneur chez Mapei, délégué à l’éclosion des jeunes. La page Mapei n’a donc pas été totalement effacée par Fabü.
Luca Guercilena était aussi le disciple d’Aldo Sassi – décédé en 2010 – au Centre Mapei, où Fabian Cancellara et les autres pépites du « gruppo giovani » ont appris à faire le métier avec professionnalisme. Quelques années plus tard, il devenait le meilleur coureur de contre-la-montre de la planète mais aussi le spécialiste le plus redouté des classiques pavées avec Tom Boonen. Pourtant, le clan Sassi avait imaginé pour lui une autre destinée. Le grand rêve du technicien transalpin, c’était de faire de Cancellara un vainqueur du Tour de France. Giorgio Squinzi disait tout le temps du Suisse, à ses débuts, qu’il avait du Indurain en lui. Idée venue de Sassi, mais qu’il n’aura pu concrétiser de son vivant. Il y a deux ans, il expliquait son propos sans que le doute l’effleure : « Fabian doit perdre six kilos dont deux de muscle, pour ne pas perdre trop de force. S’il pesait 70 kilos, comme Wiggins, il serait un homme de la montagne. Une sorte de Miguel Indurain. » La métamorphose, c’est un concept qui plait à Cancellara. Il l’a brièvement expérimenté sur son Tour de Suisse victorieux en 2009, exploit resté depuis sans lendemain. Quand il était chez CSC, l’Helvète avait confié à plusieurs reprises qu’un jour viendrait le temps où il se focaliserait définitivement sur le classement général du Tour de France. Aldo Sassi a toujours pensé qu’il était pour cela nécessaire qu’il oublie tout objectif parallèle.
"S’il peut encore perdre quelques kilos, il pourrait devenir un acteur majeur des courses par étapes !!.
C’est ça qui est compliqué avec Fabian Cancellara : cet athlète a sans doute le potentiel physique pour briller partout, mais… pas en même temps. Il est logiquement impossible pour lui d’être, une même année, écraseur de pédales en avril sur les pavés de Roubaix et grimpeur aérien en juillet sur les cols des Alpes et des Pyrénées. Chez Fassa Bortolo, il ne s’est pas fait attendre pour devenir la terreur des prologues et endosser à seulement 23 ans le maillot jaune du Tour, mais si une double compétence se laissait deviner, ce n’était clairement pas celle de rouleur-grimpeur à la Indurain : le Suisse avait terminé quatrième d’un Paris-Roubaix, battu Erik Zabel au sprint sur une étape de la Semaine catalane… Il savait tout faire sauf grimper. Il aurait sans doute fallu s’y prendre bien plus tôt pour le façonner à l’escalade. Comme sur ce Tour de l’Avenir 2001, avec Mapei, mais le Russe Evgeni Petrov, septième à l’arrivée, lui avait été préféré dans le rôle du leader : il n’avait même pas pris le départ. A croire que l’on ne voulait pas tant que ça le tester sur ces terrains là. Pourtant, avant même qu’il ne gagne le prologue du Tour, Fabian Cancellara avait inspiré des envies d’évolution à Roberto Damiani, l’un des pontes de la Mapei : « Il est déjà très fort mentalement, mais s’il peut encore perdre quelques kilos, il pourrait devenir un acteur majeur des courses par étapes. » Sur le potentiel du type, personne ne s’était trompé. Sur ce qu’il allait devenir, beaucoup ont fantasmé. Au fond, faut-il gagner un grand tour pour être un cador de ce sport ?
I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!