Pendant ce temps là, Sky fait sa charte
Mercredi, le management de l’équipe Sky a communiqué sur la création d’une charte antidopage interne. Cette décision fait suite à l’affaire Armstrong et plus particulièrement au témoignage de Michael Barry. Le Canadien a avoué s’être dopé quand il était chez US Postal et le patron de la Sky, Dave Brailsford, dit s’être senti trompé quand il l’a appris. Réaction : tout le monde, coureurs et staff confondus, doit désormais apposer sa signature à un texte qui assure ne jamais avoir triché.
De la communication avant tout
« Chez Sky, il n’y a pas de place pour ceux qui ont été impliqués dans le dopage, par le passé ou dans le présent. Cela s’applique au management, au staff, aux coureurs. » Comment s’y prendre ? Dans les semaines à venir, les dirigeants de l’équipe britannique vont rencontrer tout le monde en tête à tête, afin d’obtenir des signatures pour une charte de propreté. Qu’arrivera-t-il à ceux qui refuseraient ? Ils quitteront l’équipe. On imagine donc la scène : « Toc, toc, entrez, est-ce que vous vous êtes dopé ou vous dopez vous ? » Un tricheur répondrait-il : « Oui, virez-moi » ? Ce n’est sans doute pas l’objectif. Cette charte a plutôt valeur de garantie : si un coureur est contrôlé positif ou rattrapé par une affaire antérieure, l’employeur dispose d’un document qui le protège. Pourtant, Omega Pharma – Quick Step n’a pas eu besoin d’une telle arme pour se séparer de Levi Leipheimer après ses aveux. Alors à quoi ça sert ?
Réponse : c’est de la communication. D’ailleurs, l’écrit est l’oeuvre de Chris Haynes, responsable sport aux relations publiques chez… BSkyB, la chaîne de télévision, sponsor de l’équipe, qui n’est donc pas l’auteure de ce communiqué. Haynes n’avait d’ailleurs rien envoyé au nom du Team Sky depuis l’annonce officielle de la création de l’équipe, c’est dire l’importance de cette opération. Bon, certes, il n’y a pas lieu d’adresser une salve de critiques au Team Sky pour cette initiative, car cela reste louable de faire ce que les autres ne font pas : beaucoup d’équipes ne seraient pas aptes à monter une telle charte car elles ont embauché de leur propre chef et en connaissance de cause des coureurs ayant été contrôlés positifs par le passé. Mais le concept de charte est criticable. Primo, cela veut dire que rien n’a été fait avant la révélation de l’enquête de l’USADA et que rien n’aurait sans doute été fait sans cela. Deuzio, cela ne veut rien dire, car tout le monde va forcément signer, à moins que des sanctions pécuniaires très lourdes soient prévues en cas de problème. Sky croise évidemment les doigts pour ne jamais avoir à appliquer son règlement, tout en espérant que cette démarche ait son effet sur l’opinion publique.
Le précédent 2008 : Vino marche sur la charte Puerto
Le message envoyé, et peut-être la seule et unique chose à retenir dans cette charte, c’est que Sky s’engage à ne jamais recruter ou conserver un coureur qui a été contrôlé positif ou impliqué dans une affaire par le passé. Le contraire de la philosophie de Jonathan Vaughters, manager de Garmin-Sharp, qui lui même a admis s’être dopé quand il était coureur à l’US Postal, et a pris dans son équipe des coureurs – Zabriskie, Vande Velde, Danielson – dont il connait le passé de tricheur dans cette même structure, et ne les a pas licenciés. « JV » pratique la deuxième chance, Sky ne l’envisage pas. Vaughters s’est immanquablement senti visé par la politique de ses rivaux britanniques, alors il s’est interrogé sur Twitter : pourquoi ce qui n’a pas marché par le passé fonctionnerait aujourd’hui ? Il balance le lien de la charte éthique imposée par l’UCI, en 2008, après l’éclatement de l’Opération Puerto / Affaire Fuentes. Cette dernière invitait les coureurs à jurer qu’il n’étaient pas concernés par l’enquête espagnole, ni par quelconque autre, et n’avaient pas l’intention de se doper à l’avenir. Dans le cas contraire, ils étaient suspendus deux ans et versaient une année de salaire aux organismes de lutte contre le dopage.
Il y a quatre ans, cette charte de l’UCI avait été accueillie plutôt positivement. L’idée de la sanction financière plaisait : elle était réclamée par de nombreux acteurs. Mais le cas Vinokourov allait complètement changer la donne. Au départ du Tour de France, le Kazakh manifeste son envie d’aider à éradiquer le dopage : « J’ai signé parce que je veux que ça change, que l’on comprenne tout le travail effectué à apporter la preuve de notre bonne foi. (…) J’en ai assez que notre image soit ternie par des affaires vieilles de dix ou quinze ans ». Le genre de discours qui se prêterait totalement au contexte actuel, les faits de l’Affaire Armstrong remontant à maximum treize ans. Seulement Vino allait être contrôlé positif aux transfusions sanguines analogues sur la grande boucle : une forme de dopage lourde qui faisait office d’atteinte très grave à la lutte antidopage qu’il défendait un mois plus tôt. Prié de verser ses douze mois de salaires, le coureur d’Astana niait en bloc sa culpabilité et refusait de faire le chèque, alors qu’il avait signé la charte le lui obligeant.
Yates, pilier de la Sky, peut-il payer son passé de DS d’US Postal ?
Ce que fait Sky est toutefois différent. Car ce n’est pas l’UCI. La nuance fait que l’armada londonienne a le pouvoir de virer son coureur ou son dirigeant en cas de problème, quand l’instance internationale, elle, devait se lancer dans des procédures judiciaires très longues pour appliquer son procédé. Cependant le champ d’action de la Sky se limite à son propre groupe et la capacité de se séparer d’un tricheur existait de toute façon avant de créer une charte, au nom de la « faute grave ». En réalisant cette opération de com’, Sky ne renforce pas significativement son arsenal de lutte interne contre le dopage. Elle va même jusqu’à se mettre en danger : Michael Rogers est cité dans les témoignages de l’enquête de l’USADA comme étant un ancien client du Docteur Ferrari, l’Australien jurant toutefois qu’il n’a reçu aucun conseil relatif au dopage. De toute manière, l’ancien champion du monde du chrono arrive en fin de contrat et devrait partir.
C’est là que le bât blesse : Sky base sa démarche sur le « choc » provoqué par la lecture des 1000 pages du dossier Armstrong. Elle admet qu’il y avait dopage organisé et veut effacer toutes traces éventuelles de cette période, ainsi que de tout autres systèmes illicites éventuels, plus contemporains. C’est induit par le communiqué de presse : le rapport de l’USADA est pris au sérieux. Celui-ci comprend de nombreux témoignages qui font état d’une culture du dopage dans les années 90 et début des années 2000. Si Sky veut aller jusqu’au bout des choses, il ne faut tout simplement plus travailler avec des gens qui ont connu cette époque. Problème : Sean Yates, le directeur sportif de l’équipe à la bande bleue, occupait la même fonction chez… US Postal. Son nom n’apparait pas dans le rapport et le dirigeant a d’ores-et-déjà dit dans la presse qu’il n’avait rien vu de suspect quand il exerçait aux Etats-Unis. Bobby Julich, également DS chez Sky, a couru dans cette même équipe, aujourd’hui dans la tourmente. Il va désormais falloir valider les positions par une petite signature lourde de sens. Les pontes de Sky se mettront alors à prier pour que le grand déballage attendu, avec l’accélération de l’enquête du procureur de Padoue, ne les amènent pas à faire le ménage chez eux.