ptitlance a écrit :tu dis si bien les choses...
ptitlance a écrit :tu dis si bien les choses...
J'ai été naïf sur le sport, jusqu'à ma première course sur route à vélo.
J'ai fait du badminton pendant six ans, du tri pendant 7 ans et, jamais, jamais je n'avais entendu parlé de dopage autrement qu'à travers les journaux. Jamais, dans le badminton ou dans les deux clubs de tri auxquels j'ai adhéré, le dopage n'intervenait dans nos discussions, sinon l'évocation là d'un Ben Johnson, là d'un haltérophile un peu trop anabolisé.
Et puis, en 1995, j'ai pris une licence FFC, une régionale, pour débuter. C'était un lundi.
Le samedi suivant, j'étais au départ d'une Elite-Nat (ouverte aux Regionaux du comité), à Sollies, dans le Var.
Je fais 11, comme ça, sans rien comprendre au vélo et aux tactiques, on est arrivé à 11 pour le sprint et j'ai terminé premier des cons.
Et là, qu'ai-je entendu dans la voiture, sur le chemin du route, de la part de mes "camarades" de club auprès de qui j'étais devenu, l'espace d'un après-midi, un demi-dieu parce que j'avais fini à une 11e place "même pas fait exprès" d'une course vélo paumée dans le moyen-Var ?
"Ouaaah, mais qu'est-ce que tu prends, parce que moi je me suis passé une pommade aux corticos et j'ai rien senti.
Et l'autre : "moi j'ai pris 6 Solupred ce midi..."
Un autre : "moi du Kenacor (orthographe ?), etc."
Voilà PtitLance, ce que j'ai entendu sur ma
première course vélo.
Alors, c'est sûr, quand je leur ai dit que dans mes bidons, y avait du fructose, y a eu comme un

dans la voiture.
Les trois-quarts des gars, ils ne savaient pas ce que c'était du fructose... alors ils se sont imaginés un instant que j'avais un putain de produit miracle qui dépassait en performance amphets, anabos et corticos réunis.
Jusqu'au moment où je leur ai dit que le fructose, ça se trouve en supermarché, que c'est du sucre de fruits.
La marque ? Bjorg !
Et puis, dans les semaines puis les mois suivants, les langues se sont déliées, sur leurs pratiques, leurs habitudes, celles de leurs camarades des autres clubs, dès les cadets et jusque tard, même chez les vétérans.
J'ai écouté, attentivement.
J'ai appris pas mal de choses, notamment sur Virenque qui avait débuté lé vélo dans le club où j'avais signé ma licence, sur son entourage, sur ceux qui l'ont "poussé" à devenir ce qu'il a été, sur les jeunes coureurs bien plus talentueux que lui et qui, écoeurés, ont arrêté le cyclisme.
Je suis devenu un petit coursier du dimanche, mais plus naïf du tout, ce qui ne m'empêchait pas d'aimer le vélo.
J'ai vu des types s'envoyer des "squelettes", se flêcher à 20 bornes d'une arrivée, ou bien se faire un rail de coke au départ de courses Elite (j'ai plein des noms si tu veux

), j'ai vu des gamins surexcités, complètement camés, des types se balancer dans le fossé, se battre à la fin des courses, j'ai vu traîner des types vaguement patibulaires à la réputation sulfureuse, jusque dans les kermesses UFOLEP, on m'a même proposé de l'EPO (900 F + 200 F le masquant) pour "passer la vitesse supérieure" et devenir pro.

Puis y avait des fois, pas tout le temps

, je foutais la branlée à des types dont je savais pertinemment qu'ils s'étaient envoyés de l'Eprex et je savais même auprès de qui ils se l'étaient achetés.
Bah oui, vois-tu, le "crime" parfait n'existe pas et il y a une constante en criminologie : l'assassin sème toujours un indice, comme un pré-aveu, dans l'unique objectif - comme un acte manqué - qu'on sache un jour que c'était lui, dans l'unique but de se faire attraper. Parce que la posture du criminel est si virile, si jouissive...
La phase suivante, ça été entraîneur-éducateur. J'ai "récupéré" quatre gamins passés entre de bien mauvaises mains qui, à 18 ans, s'étaient injectés à-peu près tout ce qu'on peut imaginer : amphets, corticos et même EPO.
J'en ai eu un - un vétetiste au palmares plutôt étoffé - qui m'a dit avoir eu 57 d'hématocrite, hospitalisé en urgence par sa grand-mère, le gosse avait fait un malaise pendant le dîner. L'intervention chirurgicale à l'hôpital a été plutôt "gore" parait-il. Tu veux connaître le nom de son fournisseur d'Exprex ?
J'ai eu d'autres gamins paumés, descolarisés, à moitié analphabètes, avec une petite confiance en eux, parfois abandonnés, délaissés ou humiliés par leurs parents. Et qui, auprès de certains "coachs", trouvaient un père de substitution, qui savaient les transformer en gagneur, qui savaient les valoriser.
Et les gamins plongeaient tête baissée, forcément.
J'en ai même connu un dont le père, en personne, s'occupait de la "maintenance", allers-retours en Hollande, en Belgique.
J'ai aussi cotoyé - pour ne pas noircir totalement le tableau - des Elite 2 visiblement
cleans, sans casseroles tout au moins, qui sont passés pros, je ne les ai plus vus, j'imagine qu'ils sont restés "propres", leurs résultats en témoignent en tout cas.
Autant dire que dans cette petite famille du vélo, tout se sait plus ou moins, tout le monde sait qui fréquente qui, qui entraîne qui et qui "soigne" qui. Je le sais et tu le sais.
Voilà PtitLance pourquoi j'ai peine à croire qu'un directeur sportif ne sache pas ou ne se doute pas que l'un des coursiers se charge, j'ai peine à croire qu'un équipier ou un camarade de chambre ignore ce qui se passe dans sa propre équipe.
Et j'ai peine à imaginer que ta naïveté a totalement occulté ta faculté d'observation, ton acuité par ailleurs si fine.
Parce que du premier tour de manivelles à ton passage chez Saunier Duval, se sont écoulées plusieurs saisons.
Et si moi, si beaucoup ont vu, je pense que tu en as vu aussi.
Personne ne te demande des aveux ou des confessions mais j'aurais plûtôt préféré que tu écrives "j'ai vu mais je n'ai rien dit pour garder mon taf".
Parce que cette omerta qui plombe toujours le cyclisme ne profite qu'à ceux qui se servent du sport et des athlètes plutôt que l'inverse. Et qui ont tout intérêt à ce que leur petit business continue.
Pour finir, j'apprécie particulièrement que tu sois resté ici sur le forum pour dialoguer avec nous.
