Je me souviens, c’était il y a presque trente ans. Chaque année, j’attendais le numéro novembre/décembre du magazine triathlète (et oui, à cette époque là, il n’y avait qu’un magazine et l’hiver, il n’était pas mensuel faute de contenu dans la morte saison…). Ma mère marronnait un peu mais j’arrivais à lui soutirer 18 francs (si je me souviens bien…) pour avoir le bonheur de l’acheter et de le dévorer enfin…
L’attente était longue, je passais presque tous les jours au kiosque pour être sûr de ne pas rater le jour où j’allais découvrir la couverture qui me ferait vibrer… et connaître enfin le vainqueur d’Hawaii.
Ces numéros de triathlètes, je les ai lus, et relus, des dizaines, des centaines de fois, cherchant dans les photos, les récits et les analyses à mieux comprendre ce qui s’était passé… Je décortiquais les résultats avec minutie en comparant les temps de chaque discipline et je me refaisais le film de la course. Mon film à moi, avec un scénario sans doute un peu alambiqué et romantique mais tellement envoûtant. Et je me voyais là bas, un jour, plus tard, lorsque je serais assez grand et fort…
Mes héros s’appelaient Wolfgang Dittrich, Paula Newby Frazer, Ken Glah, Scott Tinley, Erin Baker, Paul Hudlle, Pauly Kiuru, Rob Barel, les sœur Punthous, Jurgen Zach, Christian Bustos… et bien sûr Dave Scott, et Mark Allen.
Je connaissais tout d’eux, leurs points forts, la tenue qu’ils mettraient sur la course, leurs sponsors, jusqu’à leur position même sur le vélo… Et pourtant, ce que je savais de « mes » champions, je ne le tenais que de ces quelques photos, pour ne les avoir jamais vus « en vrai »…
Je savais que Dittrich allait sortir en tête de l’océan et essayer de tenir le plus longtemps possible, le demi tour d’Hawi ou plus loin encore… Je me doutais que derrière, Jurgen Zach allait tenter de tout dynamiter en vélo sur le retour, face au « Mukuku » ce vent chaud qui désintègre les cyclistes présomptueux de la première heure… Je craignais que, comme toujours, Dave Scott, intraitable, se débarrasse des audacieux dès l’entame du marathon… J’étais jeune mais mes scénarios étaient souvent proches de ce que je découvrais à la lecture de mon magazine favori… A quelques surprises ou défaillances prêt…
C’était cela la magie d’Hawaii pour un gamin de 10 ans. Un rocher, à l’autre bout de la terre où des surhommes, presque des demi dieux pour moi se battaient chaque année comme des gladiateurs des temps modernes.
Trente ans plus tard, la magie opère toujours. Mais je me dis parfois que tout va trop vite, que cette longue attente qui était la mienne pour tenir entre mes mains quelques feuilles de papiers glacées, et bien, elle valait le coup. Elle me rendait tous ces héros encore plus mythiques parce qu’inaccessibles…
Aujourd’hui, on sait tout ce qui se passe en temps réel, les photos et les vidéos foisonnent… Tous mes champions deviennent, avec cette proximité, bien trop « réels ».
En somme, j’aimerais tant, comme avant, les « rêver » un peu plus…
Peut être que j’ai simplement vieilli ? Je ne sais pas, sans doute… Mais ce que je sais en revanche, c’est qu’une force implacable, quelque chose d’irrémédiable va me tenir éveillé devant l’écran de mon ordinateur dans quelques jours pendant plus de huit heures et en pleine nuit… Pas la peine de lutter, je sais que je n’aurais pas la force d’éteindre l’ordinateur avant de voir le vainqueur passer la ligne…
Et même à plus de 20000 kilomètre, devant un « live » d’une qualité médiocre, je vais vivre la nuit la plus excitante de l’année…
Oui, je serais une sorte de « finisher » dimanche au petit matin… Et je crois que je ne serai pas le seul…
Source : http://www.trimes.org/2014/10/07/specia ... nic-de-xa/