Les vélos du Tour de France, des œuvres d’art au prix d’une voiture
Après avoir fait les louanges de l’œuvre en deux langues, un type a soulevé la bâche. Des applaudissements ont fusé. Certains se sont levés pour apercevoir les courbes de la création. C’était un vélo.
Le béotien a levé un sourcil : comment remplit-on la salle de conférence d’un hôtel liégeois, la veille du départ du Tour, en promettant juste de voir un vélo ? Un joli vélo, clinquant et sans éclat de peinture, certes, mais un vélo quand même.
Certains voulaient peut-être entretenir leurs relations pour obtenir un jour la machine à moindre frais. Mais il n’y avait pas que ça : le vélo sur route est un business au même titre que l’industrie automobile – en moins polluant et mieux portant. Selon une étude parue en 2010, le marché mondial du cycle vaudra plus de 60 milliards d’euros dans trois ans.
« Avec un Look, on se sent unique »
Lorsque le directeur commercial de Look, Eric Vanhaverbeke, a présenté ce jour-là le dernier vélo de la marque française, il suffisait de fermer les yeux pour s’imaginer chez Ferrari :
« Avec un vélo Look, on se sent unique. C’est rouler avec du style, c’est un état d’esprit. [...] On a beaucoup travaillé sur la partie avant du cockpit. »
Le guidon, quoi.
Plusieurs fabricants se partagent le marché. Leurs noms, vous les voyez en gros sur les vélos des coureurs du Tour. Look, Giant, Trek, Time, BMC, Specialized, Pinarello, Cannondale, Bianchi, Ridley, Scott, on en passe.
Autant de concurrents qui se surveillent les uns les autres : un mécanicien nous a interdit de prendre la photo d’un vélo encore en phase de test, par crainte de l’espionnage industriel.
La plupart sont en contrat avec une ou plusieurs équipes cyclistes pour bénéficier d’une visibilité exceptionnelle à la télévision et pouvoir dire que si Dupont a gagné, c’est aussi grâce à son vélo.
Une marque paye cher sa visibilité
Les marques payent les plus grandes équipes pour leur fournir entre 100 et 150 vélos par saison. Les chiffres sont confidentiels et varient grandement en fonction de la renommée de l’équipe et des coureurs.
Il en a coûté quelques centaines de milliers d’euros à Look pour équiper Cofidis mais Specialized aurait offert six millions à l’équipe Sky pour l’équiper en 2013. L’équipe de Bradley Wiggins et Mark Cavendish a finalement renouvelé son contrat avec Pinarello.
Le nombre de zéros sur le chèque n’est pas le seul critère. Philippe Raimbaud, manager de l’équipe Saur-Sojasun, dit avoir sollicité Time pour la fiabilité du matériel et de la qualité de la relation avec le fabricant, après une expérience malheureuse.
L’équipe pro, un « banc d’essai » idéal
Surtout, le partenariat permet aux marques d’améliorer leurs vélos. Comme les constructeurs automobiles qui développent certains modèles avec leur écurie de rallye ou de Formule 1.
Lorsque le constructeur Cervelo a lancé son équipe, en 2009, il lui a donné un nom qui dit tout : Cervelo Test Team. Il était demandé aux coureurs de s’impliquer particulièrement dans le développement de prototypes qui seraient plus tard mis sur le marché. Pour les coureurs, ce n’est pas une corvée : la plupart sont passionnés par la chose. Eric Vanhaverbeke :
« On a un suivi continu avec Cofidis et l’équipe de France de cyclisme sur piste. Il y a des gens qui sont en permanence avec eux, qui vont au domicile ldes coureurs ou à l’Insep, pour la piste. On leur fait tester des prototypes, on travaille sur l’ergonomie, la position sur le vélo. »
Deux à cinq ans de développement
Le vélo présenté ce jour-là a mis deux ans à être conçu, dit Vanhaverbeke. Pour certains cadres ou composants, ça peut aller jusqu’à cinq ans.
« On démarre par des cellules d’imagination dans lesquelles on essaye de se demander ce qu’est le vélo du futur. Aujourd’hui ils travaillent déjà sur les vélos qui sortiront dans quatre ou cinq ans. Les fonctions, les matériaux, le design, on essaye d’imaginer ce qui n’existe pas aujourd’hui. »
L’électronique s’incruste dans les dérailleurs, ringardisant le bon vieux système mécanique de câbles pour changer les vitesses. Elle est aussi dans les pédales, dont certaines intègrent désormais un capteur de puissance.
Fabriquer un vélo n’est pas qu’une quête de légèreté. De toute manière, l’Union cycliste internationale impose un poids minimum de 6,8 kilos. Certains dépassent même les sept kilos.
Un vélo peut dépasser 10.000 euros
Les coureurs exigent aussi un maximum de confort possible. On optimise aussi la rigidité, la maniabilité, le rendement, la polyvalence. Sur l’ensemble du Tour de France, les coureurs auront tous les jours le même vélo, sauf lors des contre-la-montre.
Des plaines à la montagne, seuls changent les braquets, qui modifient le développement – distance parcourue en un tour de pédalier. Il faut donc une machine polyvalente. Chaque coureur en aura plusieurs dans le Tour, en cas de casse : par exemple, trois chacun chez l’équipe Saur-Sojasun pour les étapes en ligne.
Le premier qui a cassé son vélo sur le Tour 2012, c’est le Sud-Africain Robert Hunter, de l’équipe Garmin-Sharp, qui a chuté lors de la première étape. Personne n’osera lui en vouloir parce qu’il s’est fait un peu mal, mais tout de même, c’est plusieurs milliers d’euros engloutis.
Le dernier vélo de Look coûte entre 3700 et 6500 euros selon l’équipement. Compter la version la plus chère pour un coureur. Certains vélos de route du peloton tournent autour de 10.000 euros et ceux de contre-la-montre sont encore plus