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Football et crise économique (3/3) : Joueurs pro et chômeurs
LEMONDE.FR | 01.10.10 | 17h14 • Mis à jour le 01.10.10 | 19h50
En 2005, Samuel Allegro jouait en première division sous les couleurs de Metz.
AFP/STEPHAN AGOSTINI
En 2005, Samuel Allegro jouait en première division sous les couleurs de Metz.
Samuel Allegro a 32 ans, il est footballeur professionnel depuis plus de dix ans et a joué dans cinq clubs français différents. Paul Maisonneuve, lui, a 23 ans, il n'a connu qu'un seul club où il a été professionnel pendant deux saisons. Comme près de 160 de leurs collègues, tous deux sont au chômage, victimes d'une situation économique qui n'a pas épargné le monde du football.
Le nombre de joueurs pro au chômage a augmenté cet été et si la moyenne d'âge des footballeurs concernés a baissé, tous les profils sont touchés par le phénomène. Certaines stars au passé glorieux, qui évoluaient à l'étranger (Robert Pirès, Olivier Dacourt, Peter Luccin), désiraient un retour en France mais n'ont pas trouvé preneurs. D'autres, habitués de la Ligue 1, ont fini la saison sans contrat (Laurent Bonnart, François Clerc) et ont dû attendre ces derniers jours pour signer.
AUTRES TEMPS, AUTRES PRATIQUES
Si la situation de ces footballeurs confirmés n'est pas la plus préoccupante, celle de leurs collègues moins renommés l'est nettement plus. Parmi les joueurs encore au chômage, les vieux routiers de la L1 (Franck Jurietti, David Jemmali) côtoient les jeunes pousses n'ayant connu qu'un contrat professionnel.
Après une dernière saison en National avec Amiens, où il jouait depuis deux saisons, Samuel Allegro, quarante matches de première division sous les couleurs de Metz, s'est retrouvé sans contrat. "En janvier, le club m'a proposé de resigner. J'ai refusé car je voulais vivre une expérience à l'étranger. Je ne regrette pas mais je sais que je prends des risques étant donné le contexte. On ne cesse de m'expliquer que les contrats proposés sont revus à la baisse et que les clubs sont dans le rouge."
Après avoir très peu joué avec son club la saison dernière, Paul Maisonneuve s'est lui aussi retrouvé au chômage en juin. Et comme son collègue, il a refusé une prolongation il y a peu. Autres temps, autres pratiques. "Je n'ai pas été surpris qu'ils ne me gardent pas. Il y a quelques mois, ils m'avaient proposé une prolongation alors qu'ils n'avaient pas vraiment confiance en moi. C'était étrange. Peut-être que la crise était moins violente..."
FOOTBALLEUR AU PÔLE EMPLOI
Cet été, les deux joueurs ont eu quelques contacts avec des clubs, sans que cela aboutisse. "Il y a deux ans, j'avais eu plein des propositions émanant de la Grèce au moment de quitter Châteauroux. Je pensais que cela serait le cas cette année, mais j'avais mal évalué le contexte", explique Allegro. Maisonneuve, lui aussi, est déçu : "Des clubs de National ont appelé mon agent et lui ont dit 'On est intéressés, on vous recontacte vite'. Mais ils n'ont jamais rappelé..."
Depuis la fin de leurs contrats, les deux joueurs sont en partie pris en charge par l'Union nationale des footballeurs professionnels, qui organise des stages de plusieurs semaines. Au programme, entraînements de haut niveau et matches amicaux contre des clubs professionnels. "C'est très bien organisé et ça permet de garder la forme. Et le moral !", raconte l'ancien Nîmois.
Comme n'importe quel travailleur au chômage, le jeune homme a dû s'employer à d'autres démarches, moins réjouissantes, comme l'inscription au Pôle emploi. "C'est indispensable pour que je puisse toucher le chômage mais ce n'est pas le Pôle emploi qui va me trouver du boulot ! J'ai fait un rendez-vous d'orientation et même un stage pour apprendre à faire un CV et à préparer un entretien d'embauche.
Je ne me sentais pas vraiment à ma place..."
L'APPEL DU MONDE AMATEUR
Avec les 1 900 euros mensuels qu'il va toucher pendant deux ans – il gagnait 3 200 euros brut par mois à Nîmes, "le plus bas de la charte en Ligue 2" –, Maisonneuve a encore le temps d'espérer et de s'accrocher à son rêve de percer dans le football. "Le foot, c'est ma vie. Je ne me vois pas faire autre chose. Si d'ici à la fin du mois, je n'ai pas trouvé de club pro, je chercherai un club amateur. Histoire de ne pas me couper du milieu."
Allegro, lui, préfère attendre encore un peu avant de se tourner vers le monde amateur. "Je ne veux pas me reconvertir ou devenir amateur. Des clubs de CFA ou de National m'ont proposé un contrat fédéral, mais je m'estime en pleine forme physique et morale."
Les 163 footballeurs au chômage continuent d'espérer, sans que les perspectives d'avenir soient bien réjouissantes. Paul Maisonneuve souffle : "Tout le monde me dit que ce sera encore pire l'année prochaine."
Football et crise économique (2/3) : "Les jeunes joueurs sont les principales victimes de la crise"
LEMONDE.FR | 30.09.10 | 16h38 • Mis à jour le 30.09.10 | 19h05
Les finances des plus grands clubs européens virent au rouge. Michel Platini, président de l'UEFA, milite pour l'instauration d'un fair-play financier censé éviter les dérives du "football business" et équilibrer les chances au niveau européen. Mais dans ce contexte de crise qui frappe le football professionnel, ce sont les joueurs qui sont les principales victimes. Et bien sûr, pas les vedettes ou les joueurs de l'élite. René Charrier, vice-président de l'UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels), revient sur l'augmentation du nombre de joueurs professionnels au chômage et tente d'en présenter les raisons.
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Quelles explications donner au si grand nombre de footballeurs professionnels au chômage en France (163) ?
Nous craignions une telle augmentation pour différentes raisons. La crise économique est bien évidemment passée par-là. Elle touche le monde professionnel mais également le foot amateur, qui dépend du mécénat et du sponsoring au niveau local. Or les clubs de CFA et de National, qui proposaient des contrats fédéraux (contrat qui permet la rémunération des joueurs non professionnels), étaient un débouché naturel de certains joueurs en rupture de ban du milieu professionnel. En quelques années (de 2005 à 2010), nous étions passé de 250 contrats fédéraux à 600 la saison dernière. Nous n'avons pas encore les chiffres mais je suis persuadé que nous n'aurons pas d'augmentation du nombre de ces contrats cette saison, voire peut-être une légère diminution.
Un autre aspect de cette crise est l'augmentation du nombre de signatures de premier contrat pro. Dans un autre contexte, ces jeunes joueurs n'auraient peut-être pas signé. Au lieu de doubler les postes avec un joueur d'expérience qui coûte plus cher, on préfère prendre un jeune du centre de formation que l'on paie moins. Cela constitue une sorte de cascade négative.
Le président lensois Gervais Martel évoque 350 à 400 joueurs sans contrat en 2011. Qu'en pensez-vous ?
Il ne faut pas être alarmiste. Je ne sais pas où il trouve ces chiffres mais je tiens à dire qu'ils sont impossibles. Au maximum, nous aurons entre 250 à 300 joueurs en fin de contrat. Cela représente environ le tiers de l'effectif total des joueurs pro en France. En général, on se situe chaque année aux alentours des 250, 260 joueurs libres. Même avec une hausse, nous frôlerons au maximum la barre des 300.
Note-t-on un rajeunissement de l'âge des footballeurs chômeurs ?
Après un premier contrat pro, de plus en plus de jeunes joueurs ont des difficultés pour s'installer durablement dans la profession. Le foot français est loin du plein-emploi des années 80. Le rajeunissement des joueurs libres est incontestable. Nous le constatons lors des stages d'été, où de 27-28 ans, la moyenne d'âge des joueurs, qui les fréquentent, est descendu à 23-24 ans.
N'y a-t-il simplement pas trop de joueurs professionnels en France ?
Je pense effectivement que les centres de formation français misent sur le nombre. Lorsque l'on voit que certains clubs ont jusqu'à 80 joueurs en formations parfois... Je ne suis pas sûr que l'on obtienne de meilleurs résultats en privilégiant la quantité à la qualité. Et puis, que faire de tous ces jeunes qui échouent à passer professionnels ou qui n'ont pas le talent nécessaire pour percer durablement ?
Propos recueillis par Anthony Hernandez
Football et crise économique (1/3) : "La crise commence à avoir un impact positif sur le foot européen"
LEMONDE.FR | 29.09.10 | 17h37 • Mis à jour le 30.09.10 | 16h16
Le Barça, qui a beaucoup dépensé cet été, pourrait changer de politique sportive avec la mise en place du fair-play financier.
AFP/ANDER GILLENEA
Le Barça, qui a beaucoup dépensé cet été, pourrait changer de politique sportive avec la mise en place du fair-play financier.
Economiste au Centre de droit et d'économie du sport, Didier Primault évalue les effets de la crise économique sur le football européen. Le spécialiste explique que si elle entraîne des difficultés à court terme, en particulier pour les joueurs qui ont plus de mal à trouver des clubs,
elle a provoqué une prise de conscience qui pourrait se révéler bénéfique dans les années à venir.
De quelle manière la crise économique touche-t-elle le football européen ?
Au départ, le crise est financière. C'est donc l'économie la plus financiarisée du football européen qui a été la plus spectaculairement touchée : l'Angleterre. La majorité de ses clubs sont cotés en Bourse, et de nombreux investisseurs venus du monde de la finance sont présents sur le marché britannique. Le reste du football européen subit à la fois les contrecoups de la crise en Angleterre et les effets de la crise qui touche tous les secteurs de l'économie.
Quels sont les effets de cette crise sur le football français ?
L'effet le plus visible, c'est l'impact sur le marché des transferts. La France, qui est traditionnellement un pays exportateur de talents, a plus de difficulté à vendre ses joueurs aux marchés porteurs, et en premier lieu à l'Angleterre. Vendre des footballeurs a toujours été un moyen pour les clubs hexagonaux d'équilibrer leurs comptes. Ce qu'on fait de mieux en France, c'est vendre des droits télé et vendre des joueurs ! Le contrat sur les droits télé étant de longue durée, la crise n'a pas changé grand-chose pour le moment, mais les clubs anticipent des négociations compliquées et réduisent leurs dépenses. Quant à l'impact sur le sponsoring et sur les recettes guichet, il commence à peine à être perçu et analysé. Mais il est probable que ces secteurs soient touchés aussi.
Dans quelle mesure le football amateur est-il touché ?
Les plus petits clubs ont recours au sponsoring de petites entreprises, qui sont les premières victimes de la crise, ou des plus grosses, qui réduisent leurs investissements et préfèrent soutenir les clubs les plus médiatisés.
D'autre part, les petits clubs sont très dépendants de l'argent des collectivités locales et de la mise à disposition des équipements sportifs. Nombre de collectivités ont réduit leurs subventions avec la crise.
La crise que subit actuellement le foot européen n'est-elle due qu'à la crise économique globale ?
Non, il y a aussi des effets internes au secteur du football. Les autorités sportives européennes mettent une pression de plus en plus forte sur les clubs pour qu'ils aient une gestion plus rigoureuse. La perspective de la mise en place du fair-play financier est un élément qui incite les acteurs du football à plus de prudence. L'idée que le modèle est à revoir et qu'il faut viser l'équilibre financier commence à gagner du terrain et à rentrer dans la tête de beaucoup d'acteurs du ballon rond. Jusque-là, à part en France et en Allemagne, ce n'était qu'un objectif très lointain...
Certains clubs, comme Barcelone et Manchester City, ont tout de même dépensé beaucoup d'argent cet été sur le marché des transferts...
A Manchester City, le propriétaire du club a des revenus qui constituent presque un puits sans fond à l'échelle du football. Comme d'autres avant lui, ce milliardaire (Cheikh Mansour, de la famille régnante d'Abou Dhabi) a beaucoup de ressources et peut les investir. C'est un cas à part. En revanche, le modèle espagnol court un vrai danger : à l'image de l'Italie il y a dix ans, il est très peu régulé, et le football ne peut pas supporter un système si lâche.
Le Barça et le Real ont le droit d'à peu près tout faire : ils achètent à crédit et vendent des terrains qui deviennent miraculeusement constructibles... Au mépris de la concurrence avec le reste des clubs européens,
l'Etat a même effacé à deux reprises toutes les dettes sociales et fiscales des clubs ! 
Les clubs vivent avec de l'argent potentiel, et ça va très rapidement poser problème. Avec le fair-play financier, le Barça et le Real vont changer leur politique sportive.
Avec la crise économique, l'écart entre les clubs pourrait donc se réduire ?
Oui, c'est possible. Si le fair-play financier est appliqué et que les économies deviennent de moins en moins artificielles, ce sera sans doute le cas. Réguler le marché, ça veut dire limiter le pouvoir d'action des clubs les plus riches. Sauf lorsque vous êtes Manchester City, car là, l'argent, qui vient de l'extérieur du monde du football, est bien réel. Mais le projet du fair-play financier contient une obligation très intéressante : un club n'aura pas le droit de dépenser plus d'argent que ce qu'il génère lui-même. Les milliardaires auront donc un impact limité sur le football européen.
Ce serait un sacré changement car l'évolution de ces dernières années est tout autre :
depuis l'arrêt Bosman en 1995, les clubs les plus riches sont favorisés et les écarts se creusent. Surtout, depuis quinze ans, la corrélation entre les résultats sportifs et les budgets des clubs est de plus en plus forte. Plus vous êtes riches, plus vous avez de chances de gagner des titres.
La crise économique pourrait donc avoir un effet positif sur le football européen...
Oui, elle commence à avoir un impact positif, ne serait-ce que parce que beaucoup de clubs ont compris qu'il faut changer. Il y a dix ans, les Anglais ne voulaient pas entendre parler de régulation. Ça a changé. Mais tout n'est pas réglé, loin de là ! La mise en place de règles contraignantes n'en est qu'à ses débuts et il faut réussir à les appliquer, ce qui ne va pas être une partie de plaisir. De toute manière, la régulation n'aura un effet que sur le moyen ou le long terme. La crise met une pression sur les clubs mais lorsqu'elle prendra fin, tout peut repartir comme autrefois. Il n'y aura pas de véritable assainissement avant quatre ou cinq ans.
Propos recueillis par Imanol Corcostegui