A lire l'excellent article de Libération de ce jour sur l'original et intello coureur américain Anton Kruprica (pas de lien pour l'heure). Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est lui!
http://www.theecologist.org/green_green ... unner.html
Edito d'un journaliste de l'Equipe qui pratique le trail publié lors du numéro spécial UTMB de l'Equipe Mag samedi dernier.
UTMB, long est le chemin
Long est le chemin quand on court après soi
http://espritdusport.blogs.lequipe.fr/286/
Courir l’UTMB c’est passer en revue toute la palette des émotions. En quelques kilomètres, à l’euphorie peut succéder le plus profond désespoir. Et vice-versa. L’UTMB est un voyage à la fois terrestre et spirituel.
Sur la place de l’église de Chamonix, les regards ne mentent pas. Peu d’excitation, beaucoup de concentration. Sur les trottoirs ou sur les balcons, des épouses, des maris, des enfants, des amis. Beaucoup pleurent. Regards intenses où se mêlent admiration et angoisse. Etrange sensation de se sentir dans la peau d’un gladiateur. Ave Chamonix, morituri te salutant ! A cet instant, la dimension du défi qui vous attend vous saute à la gueule ! Car s’attaquer à l’UTMB représente bien plus qu’une expérience personnelle. Elle implique toute une famille, tout un cercle d’amis devenus des supporters. A travers chacun de vos pas, eux aussi vont partager l’intensité des prochaines 30 ou 40 heures. Pour tous, l’émotion de ce départ, amplifiée par la musique de Vangelis 1492, vous prend aux tripes. Ce départ est déjà une arrivée. L’arrivée de plusieurs mois de sacrifices, d’entraînements, de jours et de nuits à ne plus penser qu’à ça.
Pour un anonyme du fond de peloton, les barrières horaires sont une obsession. Trouver le savant dosage. S’économiser pour durer, mais conserver le rythme nécessaire pour éviter le couperet et la sentence sans appel de la mise hors course. Six heures pour arriver aux Contamines, après trente kilomètres, dix-huit heures trente pour pointer à Courmayeur, en Italie, de l’autre côté du tunnel du Mont-Blanc, à mi-chemin environ. Tic-tac, tic-tac… Gare à l’explosion.
La nuit tombe sur les Alpes. Au pied du col du Bonhomme, à la sortie de Notre Dame Gorge, le chemin, éclairé par les flambeaux, ouvre la porte vers la haute montagne. Seuls le souffle des respirations et le bruit des bâtons sur les rochers viennent troubler le silence de la nuit. La lumière de centaines de lampes frontales trace le chemin à suivre telle une immense guirlande au milieu des sapins. Sur l’UTMB, Noël se fête au mois d’août.
Comme souvent, les descentes sont les plus pénibles. Avec la fatigue, racines et pierres se transforment en pièges prêts à vous faire mordre la poussière (ou la boue), prêts à vous ruiner une cheville ou un genou. Peu importe, le cerveau est débranché, la douleur devient une compagne que l’on apprend à apprivoiser. Courir ou marcher, peu importe, l’essentiel est d’avancer.
Dans ces moments, on aimerait penser à ses proches, à ceux qui vous ont soutenu depuis des mois. Mais là, maintenant, la seule chose sur laquelle le cerveau se focalise ce sont ces barrières horaires, tic-tac, tic-tac,… et les douleurs. Ces muscles qui crient, ce dos devenu une plaque d’acier, ces pieds qui semblent attaquer le millième round d’un match de boxe, avec à chaque pas la sensation de recevoir un uppercut de Mike Tyson.
Sur le long plat qui mène au pied de la montée vers Champex, en Suisse, l’idée de l’abandon se met insinueusement en place. Dans la tempête cérébrale qui vous envahit, les arguments s’accumulent pour légitimer un abandon qui se transforme vite en évidence au fil des kilomètres. Au plus profond de soi, la lutte est sévère entre l’instinct de survie et l’envie d’aller voir encore un peu plus loin, curieux de savoir si l’on peut repousser un peu plus encore des limites que l’on a depuis longtemps dépassées. Finir ou en finir ? Ne surtout pas prendre de décision définitive. Combien de coureurs ont regretté leur geste trente minutes après avoir retiré leur dossard. Toujours garder l’espoir, garder son rêve. Sans savoir pourquoi, en quelques pas, en quelques minutes, la plus profonde déprime peut laisser place à une forme d’euphorie. Le sourire d’un gentil bénévole (pléonasme), la chaleur d’un bol de soupe fumante ou encore une rencontre au détour d’un sentier déclenche cette bascule. Un échange, un partage. Cet inconnu vient de l’autre bout de la France ou de l’autre bout du monde. Lui aussi se pose les mêmes questions que vous. Comme l’écrit Philippe Billard dans le livre Ultra-trail : « Si je l’aide lui, je m’aide moi ». Quelques kilomètres suffisent pour en faire notre meilleur ami. Le temps d’un passage de col, il saura tout de votre vie, même les choses les plus intimes. Et réciproquement.
Le cerveau et ses mystères. Un peu plus loin, on est soudain pris par l’envie d’un bon steak, et de frites bien grasses. Ces frites et tous ces plaisirs dont on s’est privés des mois durant pour perdre quelques grammes parce que l’on sait que sur ces sentiers ces grammes pèsent vite des tonnes. Fantasme au cœur d’une nuit où l’on aimerait prendre le temps de regarder les étoiles mais où seuls les quelques centimètres carrés où vous posez le pied parviennent à mobiliser votre
attention. Fantasme au cœur d’une journée où l’on tourne autour de ce Mont-Blanc dont on a tant rêvé des mois… mais qu’on oublie de contempler. Et si l’UTMB n’était qu’un fantasme ?
Le plus beau de ces fantasmes, c’est cette ligne d’arrivée en plein cœur de Chamonix. Dernière montée à la Tête aux Vents au milieu des bouquetins, et ces huit derniers kilomètres de descente avec au bout la libération. Oubliées les douleurs, le tic-tac s’est éteint depuis longtemps, les sourires ont remplacé les grimaces. Et ces yeux qui brillent ! De fatigue un peu, d’ivresse beaucoup. Retour au point de départ. Moins de deux jours se sont écoulés. Et pourtant, rien ne sera plus tout à fait comme avant.
Pascal (@pgb51)