Grande Boucle, grande supercherie
La 100e édition du Tour de France s'élance de Corse, samedi 29 juin. En emmenant les coureurs pour la première fois sur l'île de Beauté, les organisateurs de la Grande Boucle espéraient peut-être, naïvement, pouvoir lui donner un nouveau départ. Et larguer dans les profondeurs de la Méditerranée le boulet du dopage accroché à la roue du peloton depuis quinze ans et l'affaire Festina.
Amaury Sport Organisation, propriétaire de la course, et l'Union cycliste internationale (UCI) devaient également croire qu'il suffisait de rayer Lance Armstrong des tablettes pour faire table rase du passé. Mais, comme le rappelle l'ancien septuple vainqueur (1999-2005), déchu et honni du Tour, dans l'entretien qu'il nous a accordé : "Je n'ai pas inventé le dopage. Et il ne s'est pas non plus arrêté avec moi."
L'Américain, expert en la matière, affirme qu'il est "impossible de gagner le Tour sans se doper". De fait, l'Allemand Jan Ullrich, lauréat en 1997, vient, lui aussi, de passer aux aveux. Le Danois Bjarne Riis, vainqueur en 1996, l'avait précédé de quelques années. Quant à Marco Pantani, qui avait remporté le funeste Tour 1998, il est mort à 34 ans, victime de ses addictions. Et la liste ne s'arrête pas aux années Armstrong. En 2006, son compatriote Floyd Landis doit rendre son maillot jaune à cause d'un abus de testostérone. Et, en 2010, c'est au tour du nouveau prodige du cyclisme mondial, l'Espagnol Alberto Contador, d'être contrôlé positif en pleine gloire.
Le Tour de France n'a plus de crédibilité sportive. Une étude d'opinion réalisée fin mai par CCM Benchmark Panel indique que
plus de 40 % des Français seraient indifférents si le Tour s'arrêtait demain. Le Tour est donc en danger. Il doit restaurer sa crédibilité. Cela passe par une politique antidopage sans faille.
Cette année, la ministre des sports, Valérie Fourneyron, a réussi à forcer la main à l'UCI pour redonner la maîtrise des contrôles à l'Agence française de lutte contre le dopage. Elle a également envoyé un signal clair à la police – en l'occurrence à l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique –, pour qu'elle s'attaque aux trafics de produits dopants pendant le Tour.
Dans le sillage de l'affaire Armstrong, les sénateurs ont créé une commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte antidopage. Leurs travaux ont permis de mettre en évidence que Laurent Jalabert, l'ancien meilleur grimpeur du Tour, reconverti en consultant pour le service public, avait lui aussi abusé de l'EPO en 1998. Et de nouvelles révélations sont à attendre d'ici au 18 juillet, lors de la publication de leur rapport.
"On veut tuer le Tour de France", a réagi Bernard Hinault, quintuple et dernier vainqueur français de la Grande Boucle. Il a tort. Comme Laurent Jalabert a tort de ne pas reconnaître, que, à l'instar d'Ullrich ou d'Armstrong, il s'est effectivement dopé. L'Américain se dit prêt à "tout raconter" devant une commission "vérité et réconciliation", du nom de celle qu'avait mise en place – pour des crimes autrement plus graves – l'Afrique du Sud après l'apartheid.
L'UCI serait bien inspirée d'en accepter la création. Coureurs, manageurs, dirigeants, organisateurs, sponsors et médias qui, au mieux, ont fermé les yeux, au pire ont été complices de ces années de supercherie, devraient s'y relayer à tour de rôle. C'est la condition pour que le Tour prenne enfin un nouveau départ.
sources :
http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/ ... _3208.html