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Twitter interdit aux Jeux Olympiques de Londres : pourquoi c'est absurde
Modifié le 04-05-2012 à 19h14
Par Michel Donval
Juriste en propriété intellectuelle
LE PLUS.
Le Comité d'organisation des JO de Londres a décidé d'interdire aux athlètes et au public de tweeter pendant les événements sportifs. Pourquoi donc ? Pour garantir aux médias et aux annonceurs la totale maîtrise de l'exclusivité pendant les JO.

Une décision difficile à mettre en place,

selon Michel Donval, juriste en propriété intellectuelle.
Les anneaux olympiques, sur une pelouse à la Londres, le 18 avril 2012 (S.SIMPSON/REX).
Voici une information que certains auront à cœur de placer sous le hashtag #copyrightmadness.
À l’approche des Jeux Olympiques de Londres, le Comité International Olympique s’efforce de garantir par tous les moyens, aux marques partenaires et aux médias, leur monopole sur cet évènement.
Dans un article du 13 avril 2012, le "Guardian" a publié un reportage sur la manière dont le Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Londres empêche toute association malheureuse entre les JO et une marque non-partenaire, en interdisant, notamment les athlètes présents de poster, comme le révèle "Numerama", toutes vidéos ou photos sur les réseaux sociaux.
Cette interdiction est étendue également à tout le public lors des évènements tels que l’ouverture et les épreuves.
Si de prime abord, cette information peut surprendre au regard notamment de "la liberté d’expression" et son corollaire, la "liberté de communication", les mesures prises n’en sont pas moins nécessaires afin d’empêcher, d’une part l"ambush marketing" (le marketing d'embuscade) et d’autre part de garantir l’exclusivité des diffuseurs de l’évènement.
Eviter l'"Ambush marketing"
L'"ambush marketing" se rapporte à la stratégie publicitaire d’une entreprise, lui permettant d’être associée à un évènement sportif, sans pour autant qu'elle ait à le sponsoriser. C’est à dire se garantir les retombées économiques liées à une compétition en ne payant pas les droits de parrainage.
À cette fin et pour éviter tout acte de contrefaçon de marques, notamment en ayant recours directement aux signes distinctifs de l’évènement en question (nom, symboles etc…) – lesquels sont protégés le plus souvent par le droit des marques –, les publicitaires ont recours à des subterfuges permettant d’associer leur produit à la compétition.
Cette association est d’autant plus facile lorsqu’il s’agit des Jeux Olympiques, tant la moindre référence aux couleurs des anneaux, ou encore à la date de la compétition (en l’occurrence 2012) est présente dans la conscience collective. Le "Guardian" pointe notamment la campagne de Marks & Spencer, ou encore celle de Nike qui est, d’après un sondage effectué sur Twitter,
la marque la plus associée au JO alors même qu’elle n’est pas partenaire officielle des Jeux.
Pour un exemple plus franco-français, on se souvient du cas de Marie-Josée Pérec en 1996 lors des JO d’Atlanta. La championne était sponsorisée par Pepsi et a remporté, notamment, une compétition sponsorisée par Coca Cola. La marque bleue avait dès lors salué la victoire de Marie-Josée Pérec avec le slogan : "Marie José Pérec, représentante officielle d’une boisson non officielle à Atlanta".
Les différentes formes que peuvent prendre l'"ambush marketing" ne permettent pas de le considérer, de fait, comme illicite. Le flou juridique entourant cette notion en France oblige à rattacher l'"ambush marketing" à un régime pré-existant (soit au droit des marques, soit au droit de la concurrence). Cependant, l’insécurité juridique qu’entraîne ce flou a conduit le CIO à faire pression auprès des Etats accueillant les Jeux, pour que soit mise en place une législation ad-hoc permettant la répression de ce type de pratiques.
Dès 2000, les autorités australiennes pour les JO de Sydney avaient mis en place une protection légale de l’événement, en interdisant entre autre "toute représentation visuelle ou orale susceptible de suggérer à une personne raisonnable, un lien entre les jeux et une entreprise ou une marque non autorisée." Il en fut de même en Grèce en 2004.
Le Royaume-Unis a donc également adopté, en 2006, le London Olympic Games and Paralympic Games Act 2006 empêchant tout acte "d’ambush marketing" en interdisant aux compagnies non-partenaires de l’évènement de sortir des campagnes de type "Supportez nos athlètes au jeux de 2012" ou encore "Aidez-nous à faire briller 2012". De la sorte, toute association avec les Jeux de Londres est prohibée.
L’avantage de telles lois ad hoc pour le CIO est que dans le cadre d’une telle loi répressive, c’est l’Etat accueillant l’événement qui est en charge de faire respecter l’application de la loi et non le CIO, à travers notamment de contraignantes actions en concurrence déloyale ou en contrefaçon. Cependant, dans la mesure où il s’agit de lois locales, leur application ne peut bien évidement ne pas être étendue aux autres territoires, ce qui limite grandement leur effectivité.
Ce qui a toute fois attirée l’attention du "Guardian" et de "Numerama", c’est l’impossibilité pour les athlètes de pouvoir bloguer ou poster toute photo de leur petit-déjeuner, céréales etc… s’ils ne s’agit pas d’une marque sponsor. Il serait toutefois bien naïf de penser que l’athlète – lequel reçoit des sommes astronomiques de la part de ses sponsors – ne sera pas tenté de poster des références à son sponsor sur son blog, sa page Facebook, son compte Twitter, lesquels seront vu par un grand nombre de personnes.
Dans un tel cas, et à moindre coût, le sponsor s’assure une association avec les JO. À titre personnel, je ne vois pas d’autre intérêt que de poster des photos de son petit-déjeuner, mais il semblerait qu’ils s’agisse d’une honteuse entrave à la liberté de communication …
Garantir l’exclusivité des médias partenaires
Conformément au London Olympic Games and Paralympic Games Act 2006, durant les JO, il sera interdit aux athlètes et spectateurs de poster toutes photos ou vidéos prises à l’intérieur du village olympique ou durant les épreuves. Il leur sera également interdit de tweeter "à la manière d’un journaliste" les résultats ou de commenter les prestations des autres participants.
Tout est fait, ici, pour garantir aux médias l’exclusivité de la diffusion des JO. La tentation serait en effet trop grande pour un utilisateur de Twitter ou un blogueur renommé de couvrir l’évènement. Un contrôle, révèle le Guardian, sera effectué à ce titre par Twitter sur les hashtag #LONDON 2012 (le désormais célèbre #RadioLondres reprendra sans doute du service à cette occasion.)
Les limites de l'interdiction
Dans le cadre d’un événement majeur que sont les JO, l’atteinte à la liberté de communication et du droit à l’information du public est grande.
Pour information, les organisateurs disposent d’un droit propriété intellectuelle (assimilé à un droit voisin du droit d’auteur) sur les manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent. Ce droit d’exploitation permet notamment aux organisateurs de garantir l’exclusivité à tel ou tel média pour la retransmission de l’évènement.
Ce monopole d’exploitation est toutefois temporisé par la nécessité de garantir au public l’accès à l’information. En effet, la tentation serait grande pour l’organisateur de concéder son droit uniquement à des chaînes à péages, sur des évènements d’importance majeur – ce qui est le cas pour la Ligue 1 sur Canal + notamment. Toutefois, les autres médias, et également les entreprises de communication au public par voie électronique, non-cessionnaires du droit d’exploitation, disposent d’un droit d’accéder aux images d’un évènement sportif et d’en informer le public au moyen de la diffusion de brefs extraits. Ainsi, l’information du public est garantie par la possibilité pour les autres médias de diffuser de courts extraits et d’annoncer les scores de la manifestation.
Cependant, à l’inverse de l’exception de citation du droit d’auteur ou des droits voisins, lesquels peuvent s’exercer à la fois par les médias et par les utilisateurs lambda, ce droit d’accès aux extraits n’est accordé qu’aux journalistes, et ne peut être fait que sur des extraits appartenant au cessionnaire du droit. De sorte que si l’accès à l’enceinte de la manifestation est garantie pour les journalistes, ils n'ont pas le droit de procéder à la captation d’images différentes de celles du détenteur de l’exclusivité (Canal + est cessionnaire des droits de la Ligue 1, par exemple. Les autres journalistes sont donc obligés de reprendre des images de Canal +, même si ils sont physiquement sur le lieu de la manifestation).
Dans le cadre d’un "évènement d’importance majeure" comme les phases finales de Coupe du monde de Football ou de l’Euro, ou l’intégralité des Jeux Olympiques, ces évènement doivent être diffusés sur des chaînes en clair gratuites, selon la directive "Service de Médias Audiovisuels".
On le voit, si le droit à l’information du public est garanti par ces diverses mesures, rien n’empêche cependant l’organisateur de restreindre la liberté de communication des spectateurs, en les empêchant notamment de publier des photos prises lors des compétitions.
En France, la loi consacre la liberté d'expression des sportifs...
Toutefois l’on peut regretter que pour les JO, l'"Act" de 2006 ait envisagé de manière si restrictive en interdisant les athlètes de tweeter de façon journalistique les évènements. En l’occurrence, en France l’article L333-4 du Code du sport dispose que
"les fédérations sportives, les sociétés sportives et les organisateurs de manifestations sportives ne peuvent, en leur qualité de détenteur des droits d'exploitation, imposer aux sportifs participant à une manifestation ou à une compétition aucune obligation portant atteinte à leur liberté d'expression."
Il aurait été préférable que pour les JO de Londres, une telle mesure soit prise puisque dans la mesure où les informations ne contreviennent pas à une quelconque législation sur le droit des marques où encore d'"ambush marketing", l’information peut se révéler essentielle quand bien même il ne s’agirait pas de celle d'un journaliste.
L’évolution du monopole journalistique dans le cadre d’évènements d’importance majeure a encore beaucoup de chemin à faire, s'il veut se concilier avec la popularisation du micro-blogging.