Sartrouville, l'usine à champions
Publié : 19 oct. 2012, 23:09
Un article intéressant sur Sartrouville, dans le Monde, qui aborde les aspects financiers que nous avions évoqués ici...
http://www.lemonde.fr/sport/article/201 ... _3242.html
Après 1 500 m de natation dans le lac de Serpentine, 43 km à vélo et 10 km de course à pied dans le très bucolique Hyde Park, le podium olympique du triathlon n'avait, cet été, rien d'un triomphe tricolore, malgré les quatrième et cinquième places de David Hauss et Laurent Vidal. Pourtant, le 7 août à Londres, c'est un point commun bien français que les frères Brownlee - Alistair en or et Jonathan en bronze - et l'Espagnol Javier Gomez, en argent, ont partagé. Ces trois sportifs complets sont en effet licenciés à l'EC Sartrouville triathlon, qui a été sacré champion de France à quatre reprises : 2001, 2006, 2010 et 2011. Et aux Jeux de Pékin, à l'été 2008, l'Allemand Jan Frodeno représentait la cité des Yvelines sur la plus haute marche du podium.
Depuis les débuts olympiques du triathlon, à Sydney en 2000, les couleurs sartrouvilloises n'ont jamais été absentes du top 10. Comment un club fondé il y a vingt ans, dans une ville de 50 000 habitants, avec une mise de départ équivalant à 800 euros et seulement deux licenciés, a-t-il pu connaître une telle ascension ?
Cette réussite revêt tous les aspects de la saga familiale. En 1993, Pierre Veron, déjà président d'une section cycliste, se lance dans le triathlon. Depuis 1991, la Fédération française de triathlon (FFTRI) organise un championnat de France, le Grand Prix. Cette compétition, qui regroupe 16 clubs chez les hommes et 14 chez les femmes, est constituée de cinq épreuves. Son fils Denis l'accompagne dans l'aventure, prend les rênes du haut niveau, puis lui succède à la présidence.
"EXIGENCES DU HAUT-NIVEAU"
Au fil des ans, les meilleurs triathlètes de stature olympique rejoignent les clubs phares de l'Hexagone : Poissy (Yvelines), Beauvais (Oise) et, au tournant des années 2000, Sartrouville. "Le Grand Prix permet aux meilleurs de s'entraîner sur des distances réduites - 750 m en natation, 20 km en vélo et 5 km en course à pied - et de se frotter à un plateau très relevé", explique Denis Veron. "Il s'agit d'une préparation idéale au circuit mondial et à la grand-messe olympique", confirme Pierre Houseaux, entraîneur de l'équipe de France masculine. Au sein de cet environnement favorable, la "Green team" des Yvelines (du nom de la couleur de ses maillots) se déniche les spécialistes les plus talentueux.
Alistair Brownlee, médaillé d'or à Londres à 24 ans, raconte comment il est entré au club sartrouvillois : "J'avais 19 ans lorsque Denis a détecté mon potentiel. Il m'a approché de manière très respectueuse en me présentant les valeurs du club. J'ai tout de suite senti que cet environnement serait parfait pour m'épanouir." Un an plus tôt, en 2007, l'Espagnol Javier Gomez, dauphin du Britannique aux JO de Londres, arrive. Fin 2008, Denis Veron convainc Alistair d'initier un regroupement familial opportun en recrutant son frère, Jonathan. La personnalité de Denis Veron, sa parfaite connaissance de l'élite paraissent déterminantes dans la construction de cette armada. "Denis devine parfaitement les besoins des athlètes, décrit Alistair Brownlee. Contrairement à ce qui se pratique parfois ailleurs, il est un homme de parole et respecte les contrats. Il comprend les exigences du haut niveau, et le fait que l'on ne puisse pas s'aligner sur toutes les courses."
Sartrouville compte quatorze triathlètes dans sa section d'élite. A chaque course du Grand Prix, cinq seulement sont sélectionnés, ce qui permet de respecter les obligations de calendrier des stars, celles qui disputent le circuit mondial, dont Jonathan Brownlee et Javier Gomez sont les grands favoris avant la dernière manche disputée, dimanche 21 octobre, à Auckland (Nouvelle-Zélande). Une totale autonomie leur est conférée, ce qui limite forcément les liens avec les autres licenciés. "Sartrouville a misé sur l'élite. D'autres ont choisi d'instaurer une vraie vie de club", décrypte Pierre Houseaux, qui ajoute que "très peu des triathlètes de haut niveau s'entraînent sur les structures de leur club". S'ils étaient présents en septembre au traditionnel triathlon de la ville, où ils ont pu rencontrer les sportifs en herbe, les trois médaillés olympiques ne s'entraînent en effet quasiment jamais en région parisienne. "Mon frère et moi, nous nous préparons au quotidien à Leeds [Angleterre], avoue Alistair Brownlee. Nous partons parfois au soleil quand l'hiver se fait trop rude."
CLUB TOURNÉ SUR L'ÉLITE
De plus, à Sartrouville, alors que le gros de la troupe est rémunéré grâce à un forfait annuel, les vedettes ont le privilège d'être payées à la prestation et se voient proposer un calendrier à la carte. "Javier, Alistair et Jonathan touchent environ 5 000 euros par triathlon. La somme est d'environ 1 000 euros pour un athlète moins confirmé", livre Denis Veron, qui signale que le budget de l'EC Sartrouville, "avec 130 000 euros, n'est même pas dans les trois premiers clubs du Grand Prix". "Ces dernières années, un club comme Beauvais a pu avoir jusqu'à trois fois notre budget, précise-t-il. En 2012, Saint-Raphaël, Poissy ou le champion Sables Vendée possédaient des moyens supérieurs aux nôtres."
A l'ombre de cet incontestable succès, le profil d'un club tourné presque exclusivement sur l'élite pose question chez certains initiés. "La politique de Sartrouville fait beaucoup parler. On dit que le club pourrait être plus équilibré en ce qui concerne le haut niveau et la formation. C'est dans l'intérêt du triathlon de demain", ose Boris Gros, manageur de Poissy. Les chiffres ne démentent pas cette critique. Alors qu'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) compte environ 150 jeunes dans son école de triathlon, et Poissy 115, Sartrouville n'en dénombre que 28. C'est "au-dessous de la moyenne des 88 clubs français, qui s'élève à 35", selon David Mangel, conseiller technique national chargé de la pratique des jeunes.
Le déséquilibre s'exprime aussi dans la répartition de la dotation de la mairie, principal partenaire du club. L'adjoint au maire chargé des sports, Pierre Prigent, explique que "le montant de [leur] subvention est de 120 000 euros, dont 10 000 sont attribués à l'école de triathlon". Commentaire : "On a conscience que le bât blesse dans le domaine de la formation et qu'il est nécessaire de poursuivre le développement."
"REGARD ADMIRATIF"
Pour Franck Bignet, directeur technique national, l'EC Sartrouville a choisi "de débuter par le sommet de la pyramide mais essaie désormais de structurer le club". Denis Veron admet que Sartrouville a "la meilleure équipe, pas le meilleur club". Pour le dénicheur de champions, le manque d'infrastructures explique en grande partie ce déficit à la formation. Privé de piscine depuis deux ans, le club attend avec impatience la livraison pour mars 2013 d'un centre nautique de 27 millions d'euros, qui comprendra un bassin de 50 mètres. "Nous allons pouvoir proposer des entraînements spécifiques à la natation et embaucher des coachs spécialisés dans cette discipline", se réjouit Philippe Delort, responsable de l'école de triathlon. "Avec un tel outil, si la volonté affichée se confirme, il est possible de faire de belles choses en termes de formation des jeunes", espère David Mangel, spécialiste de la question à la FFTRI.
En attendant de vérifier que ces promesses se concrétisent, la concurrence trouve des aspects positifs à la stratégie de Sartrouville. A Valence (Drôme), qui accède cette année à la première division en s'appuyant sur la formation, on salue l'attractivité du Grand Prix, qui bénéficie à tous les autres. "Je porte un regard admiratif, reconnaît Damien Aubert, entraîneur du club local. Cela fait dix ans que ce club arrive à monter des équipes fortes. Cela donne une vraie crédibilité à notre championnat." Pas rancunier, alors que la Green team a déjà tenté de débaucher les deux espoirs du club, les juniors Simon Viain et Dorian Coninx, il refuse de jeter la pierre à son futur rival, au motif que "le triathlon est un sport trop jeune pour qu'il soit possible d'être numéro 1 à la fois chez les jeunes et dans l'élite". Avec la création d'une équipe féminine en 2013 et la livraison d'un centre aquatique dernier cri, le défi semble pourtant à la taille des terreurs olympiques de la discipline.
http://www.lemonde.fr/sport/article/201 ... _3242.html
Après 1 500 m de natation dans le lac de Serpentine, 43 km à vélo et 10 km de course à pied dans le très bucolique Hyde Park, le podium olympique du triathlon n'avait, cet été, rien d'un triomphe tricolore, malgré les quatrième et cinquième places de David Hauss et Laurent Vidal. Pourtant, le 7 août à Londres, c'est un point commun bien français que les frères Brownlee - Alistair en or et Jonathan en bronze - et l'Espagnol Javier Gomez, en argent, ont partagé. Ces trois sportifs complets sont en effet licenciés à l'EC Sartrouville triathlon, qui a été sacré champion de France à quatre reprises : 2001, 2006, 2010 et 2011. Et aux Jeux de Pékin, à l'été 2008, l'Allemand Jan Frodeno représentait la cité des Yvelines sur la plus haute marche du podium.
Depuis les débuts olympiques du triathlon, à Sydney en 2000, les couleurs sartrouvilloises n'ont jamais été absentes du top 10. Comment un club fondé il y a vingt ans, dans une ville de 50 000 habitants, avec une mise de départ équivalant à 800 euros et seulement deux licenciés, a-t-il pu connaître une telle ascension ?
Cette réussite revêt tous les aspects de la saga familiale. En 1993, Pierre Veron, déjà président d'une section cycliste, se lance dans le triathlon. Depuis 1991, la Fédération française de triathlon (FFTRI) organise un championnat de France, le Grand Prix. Cette compétition, qui regroupe 16 clubs chez les hommes et 14 chez les femmes, est constituée de cinq épreuves. Son fils Denis l'accompagne dans l'aventure, prend les rênes du haut niveau, puis lui succède à la présidence.
"EXIGENCES DU HAUT-NIVEAU"
Au fil des ans, les meilleurs triathlètes de stature olympique rejoignent les clubs phares de l'Hexagone : Poissy (Yvelines), Beauvais (Oise) et, au tournant des années 2000, Sartrouville. "Le Grand Prix permet aux meilleurs de s'entraîner sur des distances réduites - 750 m en natation, 20 km en vélo et 5 km en course à pied - et de se frotter à un plateau très relevé", explique Denis Veron. "Il s'agit d'une préparation idéale au circuit mondial et à la grand-messe olympique", confirme Pierre Houseaux, entraîneur de l'équipe de France masculine. Au sein de cet environnement favorable, la "Green team" des Yvelines (du nom de la couleur de ses maillots) se déniche les spécialistes les plus talentueux.
Alistair Brownlee, médaillé d'or à Londres à 24 ans, raconte comment il est entré au club sartrouvillois : "J'avais 19 ans lorsque Denis a détecté mon potentiel. Il m'a approché de manière très respectueuse en me présentant les valeurs du club. J'ai tout de suite senti que cet environnement serait parfait pour m'épanouir." Un an plus tôt, en 2007, l'Espagnol Javier Gomez, dauphin du Britannique aux JO de Londres, arrive. Fin 2008, Denis Veron convainc Alistair d'initier un regroupement familial opportun en recrutant son frère, Jonathan. La personnalité de Denis Veron, sa parfaite connaissance de l'élite paraissent déterminantes dans la construction de cette armada. "Denis devine parfaitement les besoins des athlètes, décrit Alistair Brownlee. Contrairement à ce qui se pratique parfois ailleurs, il est un homme de parole et respecte les contrats. Il comprend les exigences du haut niveau, et le fait que l'on ne puisse pas s'aligner sur toutes les courses."
Sartrouville compte quatorze triathlètes dans sa section d'élite. A chaque course du Grand Prix, cinq seulement sont sélectionnés, ce qui permet de respecter les obligations de calendrier des stars, celles qui disputent le circuit mondial, dont Jonathan Brownlee et Javier Gomez sont les grands favoris avant la dernière manche disputée, dimanche 21 octobre, à Auckland (Nouvelle-Zélande). Une totale autonomie leur est conférée, ce qui limite forcément les liens avec les autres licenciés. "Sartrouville a misé sur l'élite. D'autres ont choisi d'instaurer une vraie vie de club", décrypte Pierre Houseaux, qui ajoute que "très peu des triathlètes de haut niveau s'entraînent sur les structures de leur club". S'ils étaient présents en septembre au traditionnel triathlon de la ville, où ils ont pu rencontrer les sportifs en herbe, les trois médaillés olympiques ne s'entraînent en effet quasiment jamais en région parisienne. "Mon frère et moi, nous nous préparons au quotidien à Leeds [Angleterre], avoue Alistair Brownlee. Nous partons parfois au soleil quand l'hiver se fait trop rude."
CLUB TOURNÉ SUR L'ÉLITE
De plus, à Sartrouville, alors que le gros de la troupe est rémunéré grâce à un forfait annuel, les vedettes ont le privilège d'être payées à la prestation et se voient proposer un calendrier à la carte. "Javier, Alistair et Jonathan touchent environ 5 000 euros par triathlon. La somme est d'environ 1 000 euros pour un athlète moins confirmé", livre Denis Veron, qui signale que le budget de l'EC Sartrouville, "avec 130 000 euros, n'est même pas dans les trois premiers clubs du Grand Prix". "Ces dernières années, un club comme Beauvais a pu avoir jusqu'à trois fois notre budget, précise-t-il. En 2012, Saint-Raphaël, Poissy ou le champion Sables Vendée possédaient des moyens supérieurs aux nôtres."
A l'ombre de cet incontestable succès, le profil d'un club tourné presque exclusivement sur l'élite pose question chez certains initiés. "La politique de Sartrouville fait beaucoup parler. On dit que le club pourrait être plus équilibré en ce qui concerne le haut niveau et la formation. C'est dans l'intérêt du triathlon de demain", ose Boris Gros, manageur de Poissy. Les chiffres ne démentent pas cette critique. Alors qu'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) compte environ 150 jeunes dans son école de triathlon, et Poissy 115, Sartrouville n'en dénombre que 28. C'est "au-dessous de la moyenne des 88 clubs français, qui s'élève à 35", selon David Mangel, conseiller technique national chargé de la pratique des jeunes.
Le déséquilibre s'exprime aussi dans la répartition de la dotation de la mairie, principal partenaire du club. L'adjoint au maire chargé des sports, Pierre Prigent, explique que "le montant de [leur] subvention est de 120 000 euros, dont 10 000 sont attribués à l'école de triathlon". Commentaire : "On a conscience que le bât blesse dans le domaine de la formation et qu'il est nécessaire de poursuivre le développement."
"REGARD ADMIRATIF"
Pour Franck Bignet, directeur technique national, l'EC Sartrouville a choisi "de débuter par le sommet de la pyramide mais essaie désormais de structurer le club". Denis Veron admet que Sartrouville a "la meilleure équipe, pas le meilleur club". Pour le dénicheur de champions, le manque d'infrastructures explique en grande partie ce déficit à la formation. Privé de piscine depuis deux ans, le club attend avec impatience la livraison pour mars 2013 d'un centre nautique de 27 millions d'euros, qui comprendra un bassin de 50 mètres. "Nous allons pouvoir proposer des entraînements spécifiques à la natation et embaucher des coachs spécialisés dans cette discipline", se réjouit Philippe Delort, responsable de l'école de triathlon. "Avec un tel outil, si la volonté affichée se confirme, il est possible de faire de belles choses en termes de formation des jeunes", espère David Mangel, spécialiste de la question à la FFTRI.
En attendant de vérifier que ces promesses se concrétisent, la concurrence trouve des aspects positifs à la stratégie de Sartrouville. A Valence (Drôme), qui accède cette année à la première division en s'appuyant sur la formation, on salue l'attractivité du Grand Prix, qui bénéficie à tous les autres. "Je porte un regard admiratif, reconnaît Damien Aubert, entraîneur du club local. Cela fait dix ans que ce club arrive à monter des équipes fortes. Cela donne une vraie crédibilité à notre championnat." Pas rancunier, alors que la Green team a déjà tenté de débaucher les deux espoirs du club, les juniors Simon Viain et Dorian Coninx, il refuse de jeter la pierre à son futur rival, au motif que "le triathlon est un sport trop jeune pour qu'il soit possible d'être numéro 1 à la fois chez les jeunes et dans l'élite". Avec la création d'une équipe féminine en 2013 et la livraison d'un centre aquatique dernier cri, le défi semble pourtant à la taille des terreurs olympiques de la discipline.