Le cyclisme chinois ne décolle pas
Pour terminer la saison en beauté, le peloton mondial met le cap sur la Chine, surmotivé par une course qui fait office de finale du World Tour. C’est ce qu’aurait voulu l’UCI. Mais seuls cinq des 35 meilleurs coureurs mondiaux seront présents à Pékin. La mayonnaise ne prend pas, un an après la première édition de ce rendez-vous monté de toutes pièces par l’instance internationale. Pas une surprise : la Chine et le cyclisme de compétition, ça a toujours fait deux et ce n’est pas en train de changer.
Des couacs et quatre Chinois, seulement
Le Tour de Pékin fait grincer des dents. Celles des journalistes, qui n’avaient pas encore de start list complète 24 heures avant le lancement des hostilités, attendent toujours de trouver le profil de la deuxième étape sur le site internet officiel et reçoivent depuis plusieurs jours des communiqués de presse cosignés du chef de presse de l’épreuve et de celui de chaque équipe participante, dans lesquels il est évident que le premier nommé dicte la loi, sur ton de « c’est super ». Seules Liquigas et Astana n’ont pas eu le droit à leur petite part du mailing, sans que l’on ne sache trop pourquoi. Celles des fans de cyclisme, qui n’auront pour la plupart pas envie de regarder cette course dont les arrivées d’étapes auront lieu en milieu de matinée heure française, alors que seuls cinq coureurs du top 35 mondial – Samuel Sanchez, Rui Costa, Edvald Boasson Hagen, Ryder Hesjedal et Moreno Moser – ont fait le déplacement. Celles des Japonais, aussi et surtout. Sur le récent Tour de Chine, les coureurs, mécaniciens et même le commissaire de course nippons ont été priés de quitter la course quand celle-ci devait se rendre sur une île que les deux pays se disputent. La politique s’est invitée dans le sport et a causé le forfait d’Argos-Shimano, dont le sponsor est japonais, pour ce Tour de Pékin. Le coureur de Saxo Bank Takashi Miyazawa a lui aussi renoncé à participer pour sa sécurité personnelle. Enrobez tout cela d’un énorme nuage de pollution, le smog, dont l’indice de toxicité dépasse actuellement l’indice 420, quand 300 est la marque symbolisant les premiers dangers pour la santé. Ca fait beaucoup.
Mais ce doit être la fête du cyclisme chinois, que l’UCI veut développer grâce à cette course dont elle est à l’initiative de la création. Problème : il n’a aucun coureur du pays au sein du World Tour. L’an dernier, une sélection nationale avait pris part à la première édition et elle ne sera pas là cette année. En dernière minute, le forfait d’Argos a fait une heureuse : l’équipe Champion System, issue de la division Continental Pro, qui évolue sous pavillon chinois. Ou plutôt… hongkongais. Au milieu de toutes les armadas européennes et anglo-saxonnes qui ont fait le voyage, seulement quatre Chinois qui tirent profit de ce repechage de dernière minute : Kun Jiang, Pengda Jiao, Biao Liu et Gang Xu. Les seuls de l’effectif de Champion System, qui malheureusement pour eux, ne présentent aucune référence internationale et devraient donc souffrir, y compris le dernier nommé, pourtant champion national sur route en titre. Cheng Ji aurait pu porter ce total à cinq si Argos n’avait pas décliné l’invitation : il est le seul coureur de l’Histoire du cyclisme chinois à avoir couru un grand tour, sur la récent Vuelta. Il y a quelques années, son compatriote Xu Jang courait avec lui dans l’ancienne Skil, mais n’a pas été conservé. Fuyu Li, lui, était chez RadioShack, mais a… été contrôlé positif au clenbuterol en 2010.
Des courses, des équipes, mais ça ne marche pas
On est alors en droit de s’interpeller : où est donc le cyclisme de l’Empire du Milieu, pays le plus peuplé du monde, à l’économie et aux ressources gigantesques ? Une discipline qui n’émerge absolument pas, malgré sa popularité mondiale et les habitudes de transport des habitants. Pourtant, il y a un calendrier pro digne de ce nom. L’Asia Tour s’échelonne de novembre à septembre, et propose comme escapades chinoises le Tours de Hainan, de Taihu, du Lac Qinghai, ainsi que deux Tours de Chine, d’une semaine chacun, disputés à trois jours d’intervalle ! « Pour avoir un réservoir national, ce dont ils ont besoin, c’est d’avoir des courses dans leur pays », expliquait Cédric Vasseur, assistant à la direction de course, après l’édition 2011. Le Tour de Pékin se dresse en haut de la pyramide. « Si tu n’as pas dans ton pays un évènement, non pas de la dimension du Tour de France, mais quelque chose de majeur dans un calendrier cycliste, tu touches toujours moins ton public, continuait-il. Je suis certain qu’au bord des routes, des gens ont découvert ce que c’était qu’une course cycliste. Ils ont dû se dire : c’est quoi ce truc, là ? » Mais pour éviter les mouvements de foule, les forces de police empêchaient les spectateurs de s’approcher à moins de dix mètres des coureurs, qu’ils ne connaissent de toute façon pas. Le lien entre le peloton et le peuple se fait difficilement, y compris dans l’autre sens : l’an dernier, des coureurs avaient été évacués par la police alors qu’ils voulaient s’approcher de groupes de visiteurs à proximité de la Muraille de Chine. Seuls quelques privilégiés pouvaient, en préambule de ce Tour de Pékin 2012, rouler avec les pros à l’occasion d’une recreational ride loin d’être improvisée.
Si malgré un accès compliqué à la connaissance et la culture de ce sport, un talent chinois veut percer dans celui-ci, il fait face à une sérieuse manque d’équipes faisant office de véritables tremplins, ce qui contraste avec le nombre important de courses dans le pays. Derrière cette petite locomotive qu’est la formation Champion System, on retrouve certes huit équipes au niveau continental, aux effectifs pour la plupart pourvus en coureurs du cru, mais auxquels viennent se rajouter quelques contingents surprenants, comme la colonie ouzbek de la China 361° Cycling Team. En 2004, World Wide Cycling, entité qui dirige l’équipe Marco Polo, destinée à développer le cyclisme dans des contrées lointaines, s’était associée à la Fédé chinoise pour préparer ses athlètes pour les Jeux olympiques de Pékin. Avec plus de la moitié d’étrangers dans l’effectif. Deux ans plus tard, un coureur chinois, Baoqing Song, remportait l’or sur le chrono des Jeux d’Asie devant les trois pros Eugen Wacker, Andriy Mizurov et Fumiyuki Beppu. Mais sur la course en ligne, l’équipe nationale se ratait complètement par manque d’expérience tactique. Ils n’auront guère progressé les JO venus. A Pékin, la Chine décroche une médaille, mais avec une femme, Shuang Guo, sur la piste. L’été dernier, sous la houlette de Daniel Morelon, les sprinteuses se paraient d’argent en vitesse par équipes, après avoir battu le record du monde en qualifications. La piste féminine chinoise cartonne mais c’est une exception nationale incompréhensible.
A quand le coup de baguette magique ?
Le classement de l’Asia Tour est révélateur des difficultés énormes des routiers du pays : le mieux classé en ce début de mois d’octobre, c’est un amateur, Kam Po Wong, 37 ans. Champion d’Asie sur route, deuxième du Tour de Taïwan, il est… Hongkongais. Le premier Chinois non-Hongkongais aux classements continentaux se trouve à la 91e place et se nomme Meiyin Wang, mettant ici à profit sa quatrième place sur le Tour du Hainan. Pour le reste, rien à signaler. Avec un bilan statistique aussi aride que le désert de Gobi, on est en droit de se demander où la petite reine chinoise est bien capable d’aller, tant l’horizon semble bouché. Patience ? Ok, mais cela fait si longtemps que l’on annonce la percée prochaine du cyclisme local… La Fédé a depuis de nombreuses années tenté de réveiller le dragon de la petite reine, sans les effets escomptés. Dans une interview donnée à Cyclismag en 2008, Lucien Bailly, ancien DTN au Canada et en France, en place depuis de nombreuses années en Chine et notamment créateur du Tour du Lac Qinghai, était équivoque : « Les entraîneurs chinois en cyclisme, si on peut les appeler entraîneurs, pensent que l’entraînement suffit, alors qu’en cyclisme, la compétition est indispensable. (…) C’est dur d’être entraîneur là-bas. Il y a une forte pression et c’est un vrai panier de crabes (…) Les entraîneurs ne peuvent pas non plus faire de programme car il n’y a pas de budget annuel. A chaque fois qu’ils veulent faire une opération, il faut faire une demande de financement. Cela explique qu’ils ne s’en sortent pas. »
Frédéric Magné, star de la piste française des années 90, a lui aussi tenté l’expérience en Chine. Sur les anneaux, la situation est meilleure et ça l’a rendu enthousiaste. L’an passé, sur le site Sport.fr, il n’hésitait pas à parier que l’éclosion du cyclisme sur route n’était qu’une question de temps : « S’il y a une prise de conscience, le reste suivra. Il y a un énorme potentiel en terme de ressources, de détection. La masse est un facteur important. » A vrai dire, il est bien clair qu’il ne suffirait pas de grand-chose pour que l’ensemble puisse un jour démarrer. L’éclosion d’un champion, la véritable mise en place d’un programme de détection et de formation des jeunes… Tout est bon à prendre pour évoluer. Dans un pays dont la capacité à l’excellence sportive n’est pas une légende, l’absence du cyclisme reste étonnante. Les Chinois ont parfaitement le profil du coureur cycliste de haut niveau. Du côté du business, de très grosses billes sont à distribuer. Du côté des médias idem, avec la tentaculaire CCTV, qui diffuse le Tour de France en Chine. Du côté des partenaires et sociétés cherchant de la visibilité, ayant sans aucun doute des ressources conséquentes pour créer une équipe de haut niveau, s’offrir des espaces pubs de premier ordre à l’échelle World Tour serait une aubaine. Bref, les solutions et possibilités ne manquent pas. Il faudrait juste avoir des coureurs de talent.
I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!