Pour ceux qui n'auraient pas acheté L'Equipe dimanche (pas cool, et mon intéressement alors....) voici le papier paru sur la préparation de Jaja. Désolé c'est un peu long, mais pour fois que j'arrive à caser pratiquement une page de tri dans le journal, on ne va pas se plaindre...
JALABERT EN 3D
Natation, vélo, marathon : ce matin à 7 heures, Laurent Jalabert devait prendre le départ du triathlon de Zurich.
Pour le vélo, ça devrait aller, 180 bornes ne devraient pas l’inquiéter. Le marathon, il connaît, il a fini celui de Barcelone en 2h47’. Ce que Laurent Jalabert, 38 ans, retraité du cyclisme en 2002, redoutait le plus ce matin au départ de l’Ironman suisse, c’est les 3800 mètres de natation, près d’une heure et demi de combat contre l’eau du lac de Zurich.
COMBINAISON NEOPRENE sur le dos et bonnet vissé sur le crâne, caché sous ses lunettes de natation au milieu des 1 900 participants, Laurent Jalabert ne devait pas en mener large ce matin sur la plage du lac de Zurich. Oubliée sa carrière de cycliste et ses nombreux titres de gloire. Devant lui, l’Ironman de Zurich, un nouveau défi. Enorme. Devenir un « homme de fer » en bouclant les 3,8 km de natation, les 180 km de vélo et un marathon à pied. Quand, quelques secondes avant le coup de feu du starter, tous les triathlètes se sont mis à s’applaudir pour se donner du courage avant d’entamer une longue, très longue journée, l’émotion était forcément là. L’appréhension aussi.
L’idée de cet incroyable challenge lui a été soufflée il y a huit mois par Patrick Plé, un ami suisse triathlète, qui partageait parfois des sorties vélo avec lui. « Il venait faire 200 bornes avec moi et allait courir une heure après, raconte Jalabert. Je ne comprenais pas. Moi, j’arrivais, j’allais me coucher, je regardais la télé, j’étais mort. Lui repartait faire du sport. Pour moi, c’était un truc de malade. » Davantage encore après l’arrêt de sa carrière, à la fin de la saison 2002. « Je me suis arrêté dans ma carrière à un moment où j’avais toujours la capacité d’être bon mais plus envie de m’entraîner. Ça devenait une contrainte. J’aurais pu continuer et prendre la monnaie parce que j’étais encore 12e à l’UCI et j’avais encore de quoi faire illusion. J’ai voulu être honnête avec moi-même et mon entourage. Après avoir arrêté le vélo, je n’ai rien fait pendant deux ans. A peine 1 000 km par an. Le sport passait en dernier. » Deux années de laisser-aller et la balance qui s’affole et affiche un excédent de 12 kg (78 kg au lieu des 66 à l’arrivée du Tour). « On ne se rend pas compte. Moi je me sentais bien, sauf que quand je montais les escaliers chez moi, en haut, je m’accrochais à la rampe et je soufflais. Mes gamins rigolaient de voir mon bide. » Le défi du marathon arrive à temps pour le meilleur grimpeur du Tour de France en 2001 et 2002. Automne 2005, direction New York et à l’arrivée un chrono de 2 h 55’, performance qui ferait fantasmer de nombreux coureurs confirmés. Une aventure pédestre poursuivie depuis par les marathons de Londres (2 h 57’) et Chicago (2 h 57’) en 2006 puis par celui de Barcelone (2 h 47’), en mars dernier, et une 62e place au général. « Quand je suis arrivé, tout fier de moi, mon fils Jules (5 ans) a eu vite fait de me calmer en me disant : ‘’ Oh, t’es trop nul, les Noirs ça fait longtemps qu’ils sont arrivés… !’’ », raconte Jaja.
En ce dimanche de juin, le petit Jules sera peut-être plus indulgent avec son papa qui rêve lui aussi, à 38 ans, d’entrer dans la famille des Ironmen, une caste à part dans le monde des sportifs de l’extrême. « L’envie est venue par défi, confie-t-il. Je ne le fais pas par obligation, ni par intérêt car je n’ai rien à gagner. Je le fais comme le font 1800 types sur 1900. C’est d’abord une aventure humaine. J’ai retrouvé l’état d’esprit qui m’a toujours animé mais que j’ai peut-être quitté à un moment car j’étais pro et qu’il y avait d’autres enjeux. Je ne me relance pas dans une seconde carrière. Le sport est un équilibre dans ma vie. Je le fais désormais pour moi sans avoir de comptes à rendre. Beaucoup de gens ont voulu me donner des conseils. Je n’ai rien contre, mais dans la démarche, je suis dans la découverte du truc. Je le fais aux sensations. Moi, ma fierté, c’est de le faire tout seul. »
Depuis plusieurs mois, cet Ironman est devenu une obsession. Pas un jour sans que le coureur natif de Mazamet n’y pense. Et principalement à ces 3,8 km de natation, sa hantise. « En novembre, je ne savais pas nager le crawl, se souvient-il. Les premières fois, j’ai dû me faire violence. J’étais sur le bord du bassin et je me disais : ‘’qu’est-ce que tu fous là ?’’ Repartir de zéro, faisait partie des motivations. Ça m’a aussi ouvert à une discipline que je regardais de loin. Maintenant, quand Manaudou dit qu’elle nage 15 kilomètres par jour, ça me parle. Je mesure la dimension du travail. »
Les premières séances sont difficiles. « Au début, ça me réveillait la nuit tellement j’avais mal aux muscles, dans le dos, dans les bras. A la piscine, les mecs se demandaient un peu ce que je venais faire là. Quand ils me voyaient nager, ils se disaient : ‘’Il est pas sorti de l’eau, lui...’’ J’allais plus vite à la brasse. »
Les témoins confirment. « J’étais dans sa ligne d’eau lors de sa première séance, rappelle Liliane Vidal, membre du Triathlon Club Montalbanais où Jalabert est licencié. Il est arrivé presque incognito, très modeste. Il a beaucoup écouté. Il n’était pas très à l’aise. Il étouffait presque au bout de chaque longueur. »
Longueurs après longueurs, éducatif après éducatif, tout s’est pourtant mis en place. Les lundis et mercredis soir avec le club, les vendredis matin dès 7 heures pour une séance de rab’ avec les militaires, Jalabert est devenu un fidèle de la piscine Chambord de Montauban. Les épaules, les dorsaux et les pectoraux ont même fini par se dessiner. Au bord du bassin, Yannick Marchecourt, l’entraîneur natation du club, raconte : « On a commencé par les principes de bases. C’était indispensable. Il a progressé beaucoup plus vite qu’une personne de cet âge et de ce niveau. Il a toujours quelques problèmes avec la fixation du bassin. Il nage un peu comme un crocodile, en tanguant un peu. Mais en revanche, au niveau des appuis, il a tout de suite été bien. Je ne m’inquiète vraiment pas pour lui. » Jalabert, lui, se veut plus prudent et surtout plus modeste : « Les battements de jambes, au début, c’était laborieux. La première séance, au bout de trente secondes de battements, je me suis arrêté et j’ai éclaté de rire. J’avais fait 3,50 m. J’avais les chevilles raides. Maintenant je me défends, je suis dans la moyenne. Mais quand je nage, je ne me sers pas des jambes. J’ai l’impression de traîner une remorque. »
Malgré ses progrès, l’ancien cycliste n’a pas cessé d’appréhender ce moment si intense mais aussi si chaotique qu’est le départ d’un triathlon. « Tout le monde m’a parlé du départ avec 1 900 gars qui vont se battre comme des chiffonniers. On m’a dit : ‘’Tu prends des coups, tu te fais arracher les lunettes’’. Je crois que je vais partir derrière car de toute façon, je ne suis pas dans une logique de performance. »
Aujourd’hui, la sortie de l’eau du Français, dossard 1217, devrait s’effectuer autour d’1h15’-1h30’ d’efforts aux environs de la 1200e place. Place ensuite au plat de résistance : 180 km de vélo en contre la montre (avec interdiction de s’abriter dans un peloton). Sur son Look spécialement équipé pour les spécificités du triathlon, le Montalbanais devrait opérer une grosse remontée. Pas question néanmoins de s’enflammer pour le champion du monde 1997 de contre-la-montre qui a repris l’entraînement cycliste (2000 km par mois) au lendemain du marathon de Barcelone, le 3 mars. « En vélo, je vais gérer mon truc, tempère-t-il. Tout le monde se dit que je vais cartonner. Quand j’étais pro, je roulais entre 25 heures et 30 heures par semaine, avec du fractionné et des séances derrière derny. Ce n’est plus le cas. Maintenant je suis davantage diesel. A pied, j’aime changer le rythme. En vélo, ça me gave. J’ai envie de regarder le paysage. Je ne me mets plus minable comme autrefois. Trois heures de vélo, je me régale ; cinq heures, je m’ennuie. Si je voulais le faire à bloc, je pourrais peut-être le faire en 4 h 45. Mais je préfère faire 5 h 10 et pouvoir courir le marathon après. Je ne veux pas me laisser piéger par ce que les gens attendent de moi en vélo. »
Une fois le vélo posé, vers 13 heures, ne restera plus ensuite « qu’un » marathon. 42,195 km de course à pied ; 42,195 km où les jambes, déjà bien entamées par les 180 km de vélo, réclament quelques instants de répit. Plus rien à voir avec un marathon « à sec » comme les quatre qu’il a déjà couru. Plus rien à voir non plus avec ce qu’il a connu en tant que cycliste professionnel, même si son expérience du haut niveau et de la souffrance lui sera forcément précieuse. « Ça va être une découverte. Néanmoins, dans ma tête, je suis un compétiteur. Si je joue aux cartes ou aux billes, il faut que je gagne. Les jours avant la course, le doute s’installe, tu te poses des questions sur ta préparation. Et puis le jour J, il y a un truc qui se branche dans la tête et c’est parti. Tu te trouves des ressources que tu ne pensais pas avoir. »
Même s’il affiche modestement un objectif de 10 heures (1 h 30’ de natation, 5 heures de vélo et 3 h 30’ de marathon), Jalabert devrait plus vraisemblablement approcher les 9 h 30 (autour du top 80), soit un peu plus d’une heure derrière les premiers… mais huit ou neuf heures devant les derniers. Lors de la précédente édition zurichoise, le vainqueur, le Suisse Stefan Riesen, avait bouclé la course en 8 h 16’ avec notamment les 180 km de vélo parcourus en 4 h 23’ et le marathon en 2 h 56’ (2 h 43’ pour le meilleur). Mais peu importe le chrono. Au moment de franchir la ligne d’arrivée, en milieu d’après-midi, et de passer autour du cou la tant prisée médaille de finisher, Jalabert aura franchi une étape de plus dans sa nouvelle vie sportive, désormais guidée par la seule notion de plaisir. « Quand j’ai arrêté la compet’, j’avais tellement peur du vide que j’avais mis plein de trucs en place. Je me suis retrouvé en prise directe avec la vie réelle. Loin de cette vie de cycliste pro, une vie surréaliste où tu n’as pas de recul. Aujourd’hui ça m’arrive de plaindre les jeunes coureurs. Car le jour où on ouvre les yeux… Aujourd’hui, j’ai fait le tri. On n’est que de passage sur terre et il faut en profiter. »
Davantage que le triathlon, défi ponctuel, la course à pied est aujourd’hui devenue le nouveau dada de Jaja. « Je suis déjà inscrit pour le marathon de Las Vegas (2 décembre). En revanche, je ne suis pas certain de continuer le triathlon même s’il paraît que quand on y a goûté… ça demande trop d’entraînement (certaines semaines à plus de 25 heures). » En revanche, Jalabert a déjà glissé dans un coin de sa tête quelques courses comme le Marathon des Sables (243 km dans le désert marocain en six étapes et en autosuffisance alimentaire) ou le Grand Raid de la Réunion (135 km, 8 700 m de dénivelé positif). D’autres défis tout aussi exigeants. Des défis à la hauteur de l’Ironman qu’il sera probablement ce soir.