geraud a écrit : 30 juil. 2018, 20:27
Même si je suis très loin d'être fan de la Sky, et que j'ai beaucoup de mal à m'enthousiasmer devant leurs résultats, je trouve assez désolant de voir la pauvreté des articles - y compris dans les émissions plutôt spécialisées - qui se résument à "j'y crois, j'y crois pas" et des suppositions basées sur le poids de l'un, les Watts de l'autre, le sens du vent voire même la nationalité du coureur (quand on voit tout ce qui a été écrit au printemps sur les Quick Step, heureusement que le Quick Step qui a enflammé le Tour était le français de l'équipe... J'aime beaucoup ce coureur, et je n'ai aucune suspicion envers lui, mais il faut reconnaitre que la presse et l'opinion publique en France ont souvent un jugement beaucoup plus dur lorsqu'il s'agit de coureurs étrangers. Il suffit de comparer le traitement médiatique de la Quick Step en avril et en juillet pour s'en rendre compte)
Aujourd'hui l'Equipe a publié un reportage sur Geraint Thomas ou on y parle de ses débuts, de ses courses chez les U14 U16 à Cardiff,...
https://www.lequipe.fr/Cyclisme-sur-rou ... ers/926750
C'est le traditionnel reportage qui remonte aux origines, qu'on nous sert maintenant à chaque victoire ou presque, mais je trouve dommage que pendant ce Tour, aucun journaliste n'ait jamais parlé des spécificités du cyclisme britannique.
Si je me permets d'en parler, c'est parce qu'en 2000-2001(dans ces années dont parle l'Equipe donc, Thomas étant né en 1986), j'habitais, et donc je roulais, à coté de Cardiff. Je ne sais pas si j'ai croisé un jour Thomas à l'entrainement, mais il m'est arrivé de croiser Nicole Cooke (un maillot de championne du Monde, ça marque plus que de croiser un cadet anonyme

). J'étais même allé voir le championnat de Grande Bretagne 2001 qui se courrait à Cardiff. C'était Jeremy Hunt qui l'avait emporté et à l'époque c'était, derrière David Millar, un des seuls cyclistes anglais un peu connus en dehors des frontières (et encore... par ceux qui s'intéressaient au vélo d'assez près. Ca donne une idée de la place que tenaient les anglais dans le cyclisme pro). Tout ça pour dire que je connais un peu le sujet et que le cyclisme anglais possède une grosse particularité qu'il aurait été intéressant - je trouve - que les médias évoquent.
En fait, en 1890, les compétitions sur route ont été totalement interdites en Grande Bretagne, pour des raisons de sécurité (130 ans plus tard, pour les mêmes raisons, Emmanuel Macron oblige Froome à ne pas dépasser le 80km/h sur départementales

). Les coureurs anglais ont continué de vouloir courir, mais leurs courses étaient régulièrement interrompues par la police. Du coup, ils ont essayé de la jouer plus discrètement, et ce sont mis à organiser des courses où les coureurs étaient chronométrés individuellement, en partant à tour de rôle. L'organisation des courses était même tenu secrète, et on demandait à la presse de ne pas parler du lieu des courses. Les anglais venaient d'inventer à la fois les contre la montre, et l'organisation qui servirait un siècle plus tard à l'organisation des Rave

(et des vendeurs d'amphétamines qui peuvent passer de l'un à l'autre

)
Et tout ça a duré jusque dans les années 60 ! 70 ans de contre la montre clandestins, qui font que le contre la montre a une place majeure dans le cyclisme brittanique. A tel point qu'aujourd'hui encore, il existe le "cycling time trials", qui est l'organisation qui régit les contre la montre en Grande-Bretagne. Comme si nous avions une Fédération Française du Contre la Montre. (
https://en.wikipedia.org/wiki/Cycling_Time_Trials)
En Grande Bretagne, rien de plus facile que de courir un contre la montre. Je me souviens que là où j'habitais, il y avait un rendez vous un soir par semaine, vers 18h de mémoire. Si tu voulais courir, tu venais, tu payais 1£, et tu prenais le départ. On faisait 5km sur une départementale où on avait toujours la priorité, jusqu'à arriver à un rond point dont on faisait le tour pour revenir jusqu'au départ. La course se faisait sur route ouverte, mais comme du coup nous n'avions ni stop, ni priorité à céder,... cela se passait bien.
Il n'y avait pas de trophée, juste un classement fait sur un bout de papier, et un suivi qui se faisait semaine après semaine. Un genre de Strava-pré-internet

Pas de prise de tête, d'organisation compliquée, mais tu pouvais te faire un chrono chaque semaine après le boulot.
Aujourd'hui encore, le contre la montre en Grande Bretagne est organisé selon 4 distances majeures: 10, 25, 50 et 100 miles. Sachant que 1 mile = 1,6km, cela fait environ 16, 40, 80 et 160km !
Et la Cycling Time Trials organise des championnats sur ces distances ! Chaque année, il y a un champion de Grande Bretagne du 10 miles, du 25 miles, mais aussi du 50 et du 100 !
https://www.cyclingtimetrials.org.uk/articles/view/90
Le record sur 100 miles avait été battu en 2015 chez les hommes alors qu'il tenait depuis 12 ans (je ne sais pas s'il a été amélioré depuis)
https://www.cyclingweekly.com/news/late ... ord-180632
3h18mn54s pour 100 miles (160km) ca fait du 48,2km/h !! #uberbiker
Imaginez si en France nous avions une fédération dédiée, des distances officielles de 16,40, 80 et 160km reconnues par un titre national, et des petites courses organisées un peu partout en semaine. Regardez le calendrier des contre la montre (Time Trial) en Grande Bretagne et vous verrez la quantité de courses qui sont organisées.
En France, la culture du chrono, c'est essentiellement en fin de saison avec un copain (les Gentlemen) comme les footeux font des tournoi de sixte, ou les rugbymen du touch rugby. Rien que ça - je trouve - est assez symbolique de l'importance que l'on donne aux chronos.
Alors on peut se comporter en victime et se contenter de dire que la Sky tourne à la ventoline
On peut aller un peu plus loin, et constater que les français sortent le plus souvent des grimpeurs, capables de faire des places de 3 à 10 à peu près, mais pas de gagner le Tour, sans vraiment en chercher la raison
Mais je trouve dommage qu'aucun média n'ait profité de la victoire de Geraint Thomas pour expliquer cette spécificité du cyclisme britannique. Parce que tout ne se résume pas non plus au dopage, gains marginaux, budget beaucoup plus important que les autres équipes... Quand on compare le cyclisme Britannique et le cyclisme Français, il n'y a rien de surprenant à ce que les anglais arrivent à développer et détecter des coureurs avec un très haut potentiel sur le chrono.
Edit: d'ailleurs, cela fait longtemps que je me demande comment cela se fait que, dans un pays où le 100 miles contre la montre est une discipline reconnue, les anglais ne sortent pas de uberbikers sur Ironman