« LEVER LES BRAS, ÇA ME MANQUE »
Steve Chainel, bientôt 30 ans, partira, samedi en Espagne, à l’assaut du deuxième Grand Tour de sa carrière. Il est persuadé que ses plus belles années sont devant lui.
Steve Chainel veut montrer sur le Tour d’Espagne qu’il a la condition physique pour aller au bout d’un Grand Tour et postuler ainsi pour le Tour de France. (Photo Le Bien Public/Johann Michalczak)Steve Chainel veut montrer sur le Tour d’Espagne qu’il a la condition physique pour aller au bout d’un Grand Tour et postuler ainsi pour le Tour de France. (Photo Le Bien Public/Johann Michalczak)
Ça déménage chez les Chainel. Fidèles à leur fief stéphanois, Lucie et Steve ont pourtant déménagé de quelques kilomètres, il y a un mois, pour s’installer dans une plus grande maison. Car Kiara et Caliste, les deux enfants du couple de cyclistes, grandissent et il leur faut de la place. Pendant plus de trois semaines, les bambins suivront attentivement l’évolution de papa sur le Tour d’Espagne. Parti mercredi en direction de Vilanova de Arousa, une cité de la Province de Galice, d’où partira, samedi, la première étape, un contre-la-montre individuel de 27 km, le coureur d’AG2R-La Mondiale avait pris auparavant le temps de revenir sur son avenir proche et lointain. Sans détour.
N’êtes-vous pas frustré par cette saison où votre campagne de classiques a été perturbée par la météo et où vous avez couru au compte-gouttes ensuite ?
« J’ai beaucoup couru en début de saison. Dès février, j’ai enchaîné les Tours du Qatar, d’Oman, Tirreno-Adriatico puis les classiques. Au soir de Paris-Roubaix (le 7 avril) , j’en étais à 35 jours de course, soit 15 de plus qu’à l’accoutumée. Après, j’ai coupé et couru une fois toutes les trois semaines. Quand on court au coup par coup, c’est impossible d’être régulier. Mais je ne m’en suis pas trop mal sorti : le Tour du Luxembourg a été une bonne préparation pour les championnats de France. »
Mais êtes-vous satisfait de vos résultats ?
« Je n’ai pas de regrets. Que ce soit sur le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, qui restent pour moi les deux épreuves de référence, j’ai fait ce que j’ai pu. A Roubaix, j’arrive dans le groupe pour la huitième place. Si je n’avais pas fait des efforts inutiles avant, je n’aurai pas eu de crampes dans le dernier tour de piste et je pouvais aller chercher un Top 12. J’ai progressé dans ma gestion de course. Je sais où me placer et à aucun moment, je n’ai paniqué. La saison prochaine, je sais que je vais y aller avec de grosses ambitions. Quand au Tour des Flandres, je me suis retrouvé isolé et je n’avais qu’une envie : anticiper pour aller chercher une bonne place. Au final, je me suis fait avoir et je n’étais pas dans le groupe qui arrive pour la quatrième place. C’est une erreur que je ne reproduirai plus. Sans me chercher d’excuses, j’ai encore appris mais il me manque des bonnes places et des points Pro Tour pour que l’équipe soit contente. Je ne veux retenir que les points positifs. Aux championnats de France, j’ai montré que je pouvais jouer le titre. Ma saison est satisfaisante pour l’instant car l’équipe n’a rien à me reprocher. Mais je n’ai pas une bonne place, ces fameux points ou une victoire. Au final, je n’ai pratiquement fait que des courses World Tour. »
Vous n’avez pas levé les bras sur la route depuis les Trois Jours de la Panne en… avril 2010. Que vous manque-t-il pour y parvenir à nouveau ?
« Peut-être un brin de réussite et aussi, pour être honnête, aller sur des courses de moins haut niveau. Ce ne sont pas de « petites » épreuves mais si je faisais toutes les manches de la Coupe de France, peut-être que j’en gagnerai une ou deux. Si en début de saison, je suis à l’Etoile de Bessèges plutôt qu’au Tour d’Oman, je peux peut-être décrocher une étape. Quand on évolue sur le World Tour, ce sont souvent les mêmes qui gagnent : Tom Boonen, Fabien Cancellara, Peter Sagan… C’est rare qu’un Français gagne à ce niveau. Mais je ne perds pas de vue que, dans un avenir proche, mon objectif est de lever les bras. Ça me manque. Mon compteur de victoires chez les pros est bloqué à trois depuis un moment (1). J’ai un pote qui s’appelle Nacer (Bouhanni) et gagne souvent. C’est emmerdant ! (rires.) Je suis à un tournant de ma carrière, je vais avoir trente ans (2). Je ne compte pas les années mais ce serait bien de progresser en nombre de victoires. Même si je ne rattraperai pas Nacer ! »
Aux championnats de France, vous figuriez dans la bonne échappée et votre équipe a roulé pour reprendre le groupe. Comment l’avez-vous vécu ?
« Je ne vais pas vous mentir : sur le moment, j’étais dégoûté ! Sur quatorze coureurs français dans l’équipe, il y avait huit coureurs protégés et six équipiers. J’étais parmi les équipiers sur un parcours qui, d’ordinaire, me convient. Je comprends la situation de l’équipe car je n’avais pas couru depuis un mois et demi, mis à part le Tour du Luxembourg où j’avais pourtant montré que je marchais. J’étais déçu mais on ne peut pas toujours demander à être leader ou protégé. C’est une logique d’entreprise et de calendrier. Il y avait le Tour de France juste après les championnats de France. Les huit coureurs protégés allaient sur le Tour. J’ai compris mais j’étais frustré. J’espère que cela ne se reproduira pas trop souvent car des jambes comme j’avais ce jour-là, on ne peut pas les avoir toute l’année. J’ai joué le jeu du collectif et j’espère qu‘on s’en souviendra. »
Vous avez récemment effectué vos ultimes réglages pour la Vuelta sur le Tour de Burgos. Quelle analyse faites-vous de vos performances ?
« J’avais bien préparé mon affaire car c’était la course qui allait me donner de la force et du rythme pour la Vuelta. J’y suis arrivé confiant, en ayant fait de bons entraînements. Ce qui m’a manqué, c’est justement de la force et du rythme comme on a pu le voir dès la première étape. D’habitude, j’adore ce genre d’arrivées et là, il m’a manqué 400 m pour suivre les meilleurs jusqu’au bout. J’ai bien explosé ! Si je suis en grande condition, comme Anthony Roux (1) qui avait fait le Tour de Wallonie avant, je pense pouvoir terminer dans les cinq premiers. Burgos a été un excellent point final à ma préparation pour le Tour d’Espagne où trois ou quatre arrivées peuvent me convenir. »
Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
« J’ai hâte que ça commence même si j’ai toujours cette petite interrogation de me demander où j’en suis sur une course de trois semaines. Sur cette Vuelta, j’aurai deux objectifs : le premier, c’est gagner une étape même si cela va être très difficile ; le second, c’est arriver au bout pour franchir un cap. Quand je dis que c’est ma septième saison chez les pros et que je n’ai toujours pas fini un Grand Tour, les gens sont surpris (2). Passer ce cap est important pour la suite de ma carrière. Comme un marathonien qui passe un jour le cap des 3 heures et n’a plus de barrière psychologique. »
Avant cette Vuelta, vous n’aviez donc pris que le départ du Tour d’Italie 2009. D’où vient ce paradoxe ?
« J’ai pourtant montré que je pouvais être présent sur les grandes courses. Pour moi, les grandes courses ce sont les classiques et les Grands Tours. Il y a eu cette tentative au Giro 2009 qui a malgré tout été une bonne expérience (non-partant sur la 14e étape). Je me suis rendu compte que c’était impossible de faire les classiques et d’enchaîner avec le Giro. C’est le Grand Tour que je ne peux pas faire. En 2009, il ne faut aussi pas oublier que beaucoup de coureurs étaient encore à la CERA (3). Ça roulait extrêmement vite et c’était mission impossible pour moi de jouer une étape et encore moins le général. Quand on voit les trois premiers de cette édition comme Danilo Di Luca et Ivan Basso, certains étaient pas mal… Je suis tombé malade et j’ai dû arrêter au bout de deux semaines. ç a fait partie des aléas de la course mais maintenant, ça roule moins vite. On l’a dit et on le sait alors c’est important pour moi de finir un Grand Tour. »
Ne souffrez-vous pas aussi de vos images de coureur arrivé chez les pros grâce au cyclo-cross et de spécialiste de classiques ?
« C’est même sûr ! Mais si demain, on me donne le choix entre participer au Tour de France ou Paris-Roubaix, je préfère Paris-Roubaix. Mon discours est clair et net même si j’ai envie de découvrir le Tour un jour. Si je veux être au départ en 2014, je dois présenter des garanties et ça passe par finir cette Vuelta. »
Quelles seront les ambitions de votre équipe ?
« Nos leaders seront Carlos Betancur et Domenico Pozzovivo alors je n’y vais pas de manière relax en me disant que j’ai juste 21 jours de course à faire ! (rires.) En plus des trois ou quatre étapes que j’ai ciblées, je vais avoir un rôle d’équipier. Il faudra frotter pour replacer mes leaders pour le classement général. Ce ne sera pas une partie de plaisir mais travailler pour de tels coureurs est super-intéressant. Même si cela mettra une pression supplémentaire ! L’objectif sera d’aller chercher le Top 5 pour Betancur et d’avoir Pozzovivo en chasseur d’étapes voire dans le Top 10 pour marquer des points World Tour. On a aussi une équipe de chasseurs d’étapes avec Lloyd Mondory, Rinaldo Nocentini ou moi. On a un super-groupe sur cette Vuelta, comme ce qu’on a pu voir sur le dernier Tour de France. »
Au risque d’user d’un vieux cliché, on vous sent épanoui chez AG2R-La Mondiale…
« Je m’y sens très bien. Comme dans toutes les équipes, il y a des choses qui ne vont pas mais c’est moins important, à mon sens, que ce que j’ai connu par le passé. J’ai trouvé une ambiance que j’aime particulièrement. L’équipe est extrêmement pédagogue. Si je devais comparer avec la vie de tous les jours, ce serait une équipe avec un rôle social. Ses membres ne sont pas des bourrins et sont à l’écoute. Vincent Lavenu, le manager, est très humain. Comme les autres directeurs sportifs, il aime ses coureurs mais c’est peut-être celui qui a le moins oublié ce qu’est le haut niveau. Il sait quand c’est dur et trouver les mots justes quand ça ne va pas. Comme tous les managers, il reste un chef d’entreprise mais je suis quelqu’un qui voit d’abord les points positifs et c’est ce que je retiens chez Vincent. AG2R-La Mondiale est une très bonne équipe et la saison prochaine, après les classiques, je ferai le nécessaire pour y resigner. Après, j’espère avoir 25 équipes qui me veulent ! Mais ça sera uniquement pour faire augmenter l’offre et la demande ! (rires.) »
Combien de temps pensez-vous pouvoir encore durer chez les professionnels ?
« Dans les règlements, les équipes doivent avoir un certain nombre de coureurs de moins de 28 ans. Chez AG2R, sur 27 coureurs, on ne peut pas avoir 25 trentenaires. Je fais partie des « petits vieux » mais si ça ne tenait qu’à moi, je ferais encore dix saisons ! Je ne suis pas cramé et, on l’a dit, la Vuelta sera seulement mon deuxième Grand Tour. Je suis conscient de la chance que j’ai de vivre du vélo. Il y a plein de choses que je n’ai pas découvertes et qui vont seulement s’ouvrir à moi, comme le Tour de France ou le Tour de Lombardie. Avant, j’ai toujours voulu faire du cyclo-cross à bloc mais la saison sur route peut très bien se finir plus tard pour moi. »
Vous serez peut-être un jour l’un des doyens du peloton comme Sébastien Hinault !
« Sébastien est un exemple. Il apprécie toujours d’être coureur professionnel malgré le temps qui passe et les enfants qui vous réclament de plus en plus. Quand Caliste, mon fils, pleure quand je pars, c’est dur. Mais si on me propose encore dix ans chez les pros, je signe ! Au fil des années et de l’expérience accumulée, je prends encore plus de plaisir. Quand je vois des coureurs de 33 ou 34 ans qui n’ont pas de contrat et quittent le peloton contre leur gré, je n’aimerais pas être à leur place. Je préfère faire dix années, entre guillemets, pas très chères mais rester dans le milieu. »
Allez-vous effectuer une saison de cyclo-cross tronquée comme l’an passé ?
« Je vais faire encore moins de cyclo-cross que la saison dernière. Je ne ferai sans doute pas de manches de Coupe du monde. J’apprécie de plus en plus la route. Pour la reprise sur route, je serai candidat pour le même programme que cette année avec le Qatar et Oman et peut-être Paris-Nice au lieu de Tirreno-Adriatico. Mais cela passe par un hiver léger. Je ferai quelques cyclo-cross mais surtout régionaux. Ce qui est sûr, c’est que je pousserai jusqu’au 13 octobre avec l’objectif de remporter la première manche du Challenge national chez moi, à Saint-Etienne-lès-Remiremont. Ce serait l’apothéose. Je ferai aussi les deux autres manches du Challenge national car je compte être au départ des championnats de France alors il faudra avoir une bonne place sur la grille de départ. Quand je faisais la saison de cyclo-cross à bloc, j’en faisais entre 20 et 25. J’en ai fait 18 l’an dernier et cette année, ça tournera entre 12 et 15. »

I don't ride a bike to add days to my life. I ride a bike to add life to my days !!!