Ceux qui ont avalé des coleuvres pendant des années vont parler
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LE PLUS. Alors que Lance Arsmtrong vient d'être destitué de ses sept tours de France, Pierre Bordry, l’ancien patron de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), a laissé entendre que le coureur américain aurait demandé sa tête auprès de Nicolas Sarkozy dès 2009. Est-il allé trop loin ? Analyse de notre chroniqueur Thierry de Cabarrus.
ARMSTRONG. Dopage : Nicolas Sarkozy a-t-il protégé le coureur américain ?
Modifié le 23-10-2012 à 11h41
CYCLISME. Pierre Bordry, l'ancien président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), parle enfin. Sur France Info, lundi 22 octobre, il a fait des révélations spectaculaires
qui, si elles sont avérées, pourraient avoir la portée d’un nouveau scandale qui assombrirait encore le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Il affirme que Lance Armstrong, aujourd’hui radié à vie et déchu de ses sept victoires, avait fait de lui "sa bête noire" et qu’il aurait obtenu sa tête auprès du président de la République lui-même. Parce que Bordry voulait simplement "faire son travail", ce qui risquait d’entraîner la chute inéluctable du champion texan.
"Au revoir Pierre"
Je suis étonné que ces propos, à la fois précis et accusateurs, ne fassent l’objet que de reprises modestes dans les médias. Je crains même qu’ils ne finissent par être étouffés, l’affaire Armstrong occupant de manière spectaculaire tout le devant de la scène au point de ne plus laisser la moindre place à ses à-côtés pourtant révélateurs.
Il me semble en effet que l’interview de Pierre Bordry, si elle repose sur des faits avérés, éclaire un peu plus et sous un angle différent les relations que pouvait entretenir le président Sarkozy avec ceux qu’il admirait comme autant de symboles de réussite quel que soit le domaine (les grands capitaines d’industrie, les stars du show biz et les champions sportifs).
Pierre Bordry explique qu’en 2009 et 2010, Lance Armstrong se vantait d’être un "ami personnel" du président de la République au point que ce dernier ne lui refusait rien. Ainsi, avait-il demandé à déjeuner avec le chef de l’État afin, précise Bordy, de lui réclamer "la tête" du patron de l’AFLD.
Dans une interview accordée l’été dernier à l’AFP, le patron de AFLD
donnait déjà ces précisions :
"J'ai essayé d'avoir des informations (sur ce déjeuner), mais en septembre 2010, Mme Bachelot (alors ministre des Sports) a proposé la suppression de la moitié de mon budget. L'agence devait réduire ses contrôles. C'est pour ça que je suis parti (…) Quand je suis parti, Armstrong a fait un tweet, sur Twitter, 'au revoir Pierre', en s'adressant à moi. Je lui ai répondu qu'il n'en n'avait pas fini avec l'agence américaine."
Une admiration sans borne pour le Texan
Le Texan était traqué par l’AFLD. A tel point que l'agence s'était mis à dos l’UCI qui, quant à elle, voulait temporiser devant les risques de scandale. Il semble qu'avant chaque contrôle, le champion était ainsi alerté vingt minutes à l'avance. En 2009, Armstrong faisait alors son grand retour au premier plan et Pierre Bordy représentait pour lui une menace.
Jusqu’à ce que l’agence n’ai plus les moyens de travailler, et ce, du jour au lendemain.
L’ancien président de la République est, on le sait, un grand amateur de vélo, qui aime aller s’entraîner avec ses amis anciens sportifs et tous les membres du show biz amateurs de "la petite reine". Sans doute a-t-il voué, comme moi, et comme beaucoup de Français, une admiration sans borne pour le champion américain auréolé d’une légende fabuleuse, lui qui non seulement avait triomphé d’un cancer, mais qui faisait exploser tous les codes pour devenir le plus grand cycliste de tous les temps.
Pourtant, Nicolas Sarkozy, à l’évidence, était bien placé pour ne pas se contenter de la vision "romantique" de ce qui, peu à peu depuis 1999, était en train de devenir une "affaire Armnstrong".
Cette année-là, l’Américain remportait sa première victoire, on disait alors que c’était le "Tour du renouveau" après l'affaire Festina qui avait éclaté lors de l’édition précédente, et le storytelling qui entourait le nouveau maillot jaune allait redonner une virginité au Tour de France. Tout le monde voulait y croire, moi le premier, même si dès l’année suivante, et au fil des tours, les spécialistes du vélo ont commencé à exprimer des réserves dans les journaux, des doutes qui n’ont fait que s’accroître jusqu’en 2005.
"Même Astérix prend de la potion magique"
L’ancien président évoquait le dopage d’Armstrong en des termes particulièrement légers, comme le rappelait le journaliste de RTL Laurent Bazin ce lundi sur Twitter :
"Même Astérix prend de la potion magique !', disait Nicolas Sarkozy à propos de Lance Armstrong en 2009".
Mais nul besoin d’être dans les arcanes du pouvoir pour s’en douter. Plus ou moins confusément, chacun savait. Tous les amateurs de vélo n’ignoraient pas, moi y compris, que le dopage a toujours été là et qu’il a été le plus fidèle compagnon de route des plus grands champions depuis que les courses de vélo existent.
Les grandes légendes du cyclisme, aussi loin que l’on remonte dans le temps, ont utilisé la fameuse "potion magique", qu’elle soit aussi rudimentaire que le "pot belge" ou sophistiquée comme l’EPO. Chacun le savait mais pouvait s’en accommoder au nom de la ferveur pour ce sport populaire qui exige de ceux qui le pratiquent des efforts d’une violence extrême, insupportable sans un peu de chimie.
J’ai écrit mon plaidoyer pour le cyclisme malgré toutes ses faiblesses, quand ont éclaté les affaires Longo, Di Grégorio et Contador ; j'ai soutenu jusqu’au bout Lance Armstrong qui, à mes yeux, restera malgré tout un grand champion, et ce quels que soient les tombereaux de fumier sous lesquels on l’enterre aujourd’hui.
Mais il y a une grosse différence à apprécier le Tour de France comme un spectacle en le suivant chaque été sur son écran de télévision et à rencontrer régulièrement un champion sulfureux, suivre ses étapes, déjeuner avec lui, l’apprécier au point de continuer d’en faire l’éloge en 2010 à la télévision, alors que déjà le ciel est bien sombre au dessus de la tête de Lance Armstrong.
Deux trajectoires assez proches
Nicolas Sarkozy a-t-il commis une simple imprudence en fréquentant le septuple maillot jaune du Tour de France ou est-il allé trop loin, allant jusqu’à accepter ses cadeaux, et rogner les ailes de l’AFLD, comme le laisse clairement entendre Pierre Bordry ? Il n ‘y a pas de preuves mais la question est posée.
Car il y a un point commun entre le sport de haut niveau et la politique : c’est l’ingratitude. Nicolas Sarkozy, rejeté par les Français au terme d’un quinquennat calamiteux. Lance Armstrong, champion aujourd’hui destitué de tous ses titres.

Tous les deux pourraient aujourd'hui méditer ensemble sur la vanité des choses et l’hypocrisie des êtres.
Ceux qui ont encensés les deux "champions", qui leur ont juré fidélité, qui ont baigné dans leur lumière quand l’un et l’autre étaient au firmament, sont les premiers désormais à leur tourner le dos.
Les langues se délient, et les systèmes qu’ils avaient mis en place pour être les premiers et le demeurer quoi qu'il en coûte se délitent comme de la peau morte.
Je n’insisterai pas sur le "système Sarkozy" qui fait aujourd’hui l’objet de plusieurs enquêtes (Karachi, Bettencourt, etc.) et qui pourrait conduire l’ancien président devant des tribunaux. En revanche, le "système Armstrong",
qui consistait à se sortir systématiquement et mystérieusement à tous les contrôles antidopage grâce à des complicités au plus haut niveau est en train d’être démonté. Et, dans ce cadre là, on peut se poser légitimement des questions qui concernent aussi… Nicolas Sarkozy. 