Kara a écrit :Bonjour,
Nouveau ici aussi, novice ici aussi.
En quoi l'idée de faire du tri par défi personnel est-elle indigne ?
Ou j'ai mal compris et ça fait partie du bizutage en cours ?
C'est l'idée de dépassement personnel qui est indigne. Avec toutes les dérives que cela entraîne.
C Robin l'a dit: on ne fait pas du tri par défi, mais par envie.
Lire Isabelle Quéval, "S'accomplir ou se dépasser. Essai sur le sport contemporain".
L'idée d'un dépassement de soi-même, aujourd'hui devenue si courante, est liée historiquement à l'avènement de la modernité. La pensée antique, toute marquée par la notion de finalité naturelle et enfermée dans un monde clos, ne la connaît pas. Pour la cosmogonie, l'astronomie, la physique, la médecine, pour l'histoire des gymnastiques et dans le culte du héros « sportif », prédomine l'idée d'une nature pourvoyeuse d'ordres et de normes ; elle interdit celle d'un progrès indéfini. Son rythme est celui du cycle, de l'éternel retour. Il faut attendre les bouleversements scientifiques des XVI et XVIIe siècles, le passage à l'idée d'univers infini, l'invention du sujet cartésien pour que puisse apparaître l'ambition d'une perfectibilité sans limites. Alors s'affirment dans l'élan des Lumières la liberté humaine en face de la nature, la confiance dans l'amélioration toujours possible des performances et dans les techniques qui la permettent, l'éducation et la médecine. Cet élargissement des barrières humaines embrasse tous les savoirs et disciplines. L'homme s'autonomise, il devient la « mesure de toute chose ». Il n'y a de progrès que ce qui se mesure, on s'efforce de mieux fixer l'identité humaine pour l'améliorer.
Aussi ne faut il pas s'étonner que l'essor des statistiques a précédé quelque peu l'apparition du sport comme compétition et discipline. Comme on se mit à mesurer pour optimiser la travail et la force musculaire, on se mit à évaluer la performance sportive. C'est l'essor des gymnastiques, en s'emparant du corps, qui est devenu le nouveau territoire de perfectibilité qui a ouvert le mouvement. Mais pour que celui-ci soit réellement apparu, il a fallu que l'homme accomplisse un passage de l'innovation pédagogique au culte du record, phénomène qui a suivi la révolution industrielle au Royaume-Uni. Le sport de haut niveau apparaît aujourd'hui comme le laboratoire expérimental de ce dépassement de soi, devenu l'emblème de notre idéologie contemporaine. Au-delà de la question classique sur les fins de l'exercice physique ‑ s'accomplir ou se dépasser ? ‑, il est le révélateur des conséquences paroxystiques de ce culte et de cette obsession de la performance. À travers le dopage et les manipulations génétiques, il pose le problème de l'évolution des sociétés contemporaines et du rapport, chez l'homme d'aujourd'hui, de la culture et de la nature.
Quel est cet humain tout entier soumis à l'impératif idéologique et technique du dépassement de soi ? Cette analyse est des plus intéressantes ; elle est loin d'épuiser pourtant le domaine du sport devenu tout à la fois un substitut de la religion, l'un des grands vecteurs, sinon presque le seul, des grandes mobilisations patriotiques ou tout simplement l'expression de la fierté nationale.
http://www.revue-lebanquet.com/reposoir ... 00871.html