Fabien Ollier, philosophe et directeur de la revue "Quel sport ?"
"La Coupe du monde, une aliénation planétaire"
LEMONDE.FR | 10.06.10 | 10h32 • Mis à jour le 10.06.10 | 12h56
Fabien Ollier est directeur de la revue Quel sport ? Il a publié un grand nombre d'ouvrages participant de la critique radicale du sport dont notamment L'Intégrisme du football en 2002, Footmania en 2007, Le Livre noir des J.O. de Pékin en 2008. A quelques jours de l'ouverture de la Coupe du monde de football, Fabien Ollier dresse un état des lieux sans concession de cette grand-messe planétaire orchestrée par "la toute-puissante multinationale privée de la FIFA".
Vous comparez le sport en général, le football en particulier, à une aliénation planétaire. Que vous inspire la Coupe du monde ?
Fabien Ollier : Il suffit de se plonger dans l'histoire des Coupes du monde pour en extraire la longue infamie politique et la stratégie d'aliénation planétaire. Le Mondial sud-africain ne fait d'ailleurs pas exception à la règle. L'expression du capital le plus prédateur est à l'œuvre : les multinationales partenaires de la FIFA et diverses organisations mafieuses se sont déjà abattues sur l'Afrique du Sud pour en tirer les plus gros bénéfices possibles. Un certain nombre de journalistes qui ont travaillé en profondeur sur le système FIFA ont mis en évidence le mode de fonctionnement plutôt crapuleux de l'organisation. Ce n'est un secret pour personne aujourd'hui. De plus, il y a une certaine indécence à faire croire que la population profitera de cette manne financière. Le nettoyage des quartiers pauvres, l'expulsion des habitants, la rénovation luxueuse de certains townships ont été contrôlés par des "gangs" qui n'ont pas l'habitude de reverser les bénéfices. Avec la majorité de la population vivant avec moins de 2 euros par jour, cet étalage de richesse est pour le moins contestable.
Le déploiement sécuritaire censé maintenir l'ordre, assurer une soi-disant paix civile n'est autre en réalité que la construction d'un véritable Etat de siège, un Etat "big brother". Les hélicos, les milliers de policiers et de militaires ne sont là que pour contrôler, parquer la misère et protéger le luxe, pour permettre aux pseudo-passionnés de football de "vibrer". La mobilisation de masse des esprits autour des équipes nationales induit la mise en place d'une hystérie collective obligatoire. Tout cela relève d'une diversion politique évidente, d'un contrôle idéologique d'une population. En temps de crise économique, le seul sujet qui devrait nous concerner est la santé de nos petits footballeurs. C'est pitoyable.
Pourtant, les Français sont plutôt critiques avec leur équipe nationale.
On assiste plutôt à la réduction de chaque citoyen en analyste de café des sports par un processus d'identification. C'est un supportérisme obligatoire déguisé en "pensée critique", dans les bons comme dans les pires moments. Il existe en réalité une propension du plus grand nombre à réclamer sa part d'opium sportif. Mais pour que le désamour des Français à l'égard des équipes de mercenaires millionnaires évolue en véritable prise de conscience, je souhaite que l'équipe de France ne passe pas le premier tour.




La victoire de l'équipe de France a généré une défaite de la pensée.

Votre thèse réfute l'idée du football ou du sport en général comme simple reflet de la société avec son lot de violences.
En effet, une grande partie de ceux qui défendent le sport et le football les dédouanent en leur conférant un simple effet miroir d'une société violente. "On ne peut pas demander au football d'être moins violent que la société". A mon sens, il n'est pas seulement le reflet, le football est également producteur de violences sociales, générateur de violences nouvelles. Il impose un modèle de darwinisme social.

Une autre image d'Epinal du football lui attribue un rôle d'exutoire des nationalismes et des guerres.
La symbolisation de la guerre n'existe pas dans les stades, la guerre est présente. Le football exacerbe les tensions nationalistes et suscite des émotions patriotiques d'un vulgaire et d'une absurdité éclatants. Je réfute l'idée d'un procès de civilisation. Le sport provoque une forme de violence différente, moins évidente qu'une bombe mais ne participe absolument pas à un recul de la violence. Il y a de multiples coups d'épingle à la place d'un grand coup d'épée.
Vous regrettez le ralliement de la gauche aux valeurs de droite léguées par le sport de pointe. En quoi consiste-il ?
Le sport est indéniablement politique. A ce titre, il génère des valeurs politiques. Il est intéressant d'essayer de savoir si ces valeurs sont de droite ou de gauche. Il me semble que la gauche a rompu avec ses valeurs pour se rallier au modèle de droite fondé sur le principe de rendement, de hiérarchie et de compétition. Voir Marie-George Buffet dénoncer le foot-spectacle et se retrouver en finale de la Coupe du monde 98 vêtue du maillot et criant ses encouragements à l'équipe de France, c'est assez schizophrénique.

Propos recueillis par Anthony Hernandez
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_elem ... 540,0.html
La lutte contre le trafic des jeunes sportifs en provenance des pays tiers, un sujet toujours d'actualité
Sport et Citoyenneté | 10.06.10 | 11h36
Cet article est issu de la revue spéciale éditée par le think tank "Sport et Citoyenneté" : "Coupe du Monde de la FIFA 2010 : l'heure de l'Afrique ?"
L'Europe est perçue comme un Eldorado par nombre de ressortissants des pays tiers, du fait des écarts de niveau de vie. Cette fascination est accentuée dans l'industrie européenne du football, où les rémunérations de certains joueurs et le niveau sportif des clubs font rêver. Parallèlement, " avec l'augmentation des prix d'acquisition des joueurs, de nombreux clubs européens s'orientent de plus en plus vers les marchés extérieurs […] où ils peuvent acquérir des joueurs talentueux à des coûts sensiblement inférieurs à ceux exigés en Europe "1. La concurrence accrue entre les clubs favorise aussi le recrutement de joueurs de plus en plus jeunes.
En marge des transferts légaux vers les clubs européens, il existe un trafic de jeunes joueurs et des réseaux d'immigration gérés par des agents établis en Europe, qui exploitent une ressource provenant d'Afrique ou d'Amérique Latine. Le schéma–type de ces transferts illicites est malheureusement identifié depuis les années 90 : un intermédiaire peu scrupuleux repère un jeune joueur et lui fait miroiter, ainsi qu'à sa famille, la possibilité d'intégrer un club en Europe et l'espoir d'une réussite. Une fois arrivé en Europe, le plus souvent avec un visa de touriste, le jeune sportif, s'il n'a pas été dupé, peut avoir la possibilité d'effectuer des essais dans divers clubs. Dans le meilleur des cas, le jeune signe un contrat de court terme avec le club, souvent précaire et peu favorable.
Toutefois, si le sportif ne parvient pas à se faire embaucher, l'intermédiaire l'abandonne le plus souvent à son sort. En règle générale, le nombre de contrats proposés est très faible par rapport à l'ampleur des flux d'immigration, ce qui entraîne une grande masse de laissés pour compte. Dépourvu d'argent et de contacts, ne connaissant souvent pas la langue du pays, le sportif abandonné se retrouve en situation irrégulière, sans permis de travail ni titre de séjour. Il n'est pas rare qu'il renonce à rentrer au pays, car son retour serait vécu comme un échec, et qu'il tente de rester en Europe dans des conditions précaires, en vivant de petits emplois non déclarés.
Cette véritable traite des jeunes sportifs, qui concerne essentiellement le football, a fait de nombreuses victimes d'exploitation économique, et elle est régulièrement dénoncée par les pouvoirs publics comme par les instances sportives. Du côté des pouvoirs publics, on peut mentionner les préoccupations exprimées dans la déclaration à l'issue du Conseil européen de Nice en 2000, la déclaration de Bamako en 2000 dans le cadre de la CONFEJES, ou la résolution du Parlement européen sur l'avenir du football professionnel en Europe en 2007.
Le Livre blanc sur le sport publié par la Commission la même année évoque une situation " inacceptable au regard des valeurs fondamentales reconnues par l'UE et ses États membres ", tout en admettant que la directive 94/33/CE sur la protection des jeunes au travail " n'est appliquée qu'en partie pour ce qui concerne les mineurs dans le sport ". Toutefois, le plan d'action associé prône simplement " une application vigoureuse des mesures de protection des mineurs non accompagnés existant dans la législation des Etats membres concernant l'immigration ", tandis que les actions 42 et 43 indiquent que la Commission continuera à veiller à l'application de la directive précitée, et qu'elle proposera aux Etats membres et aux organisations sportives " de coopérer en vue de la protection physique et morales des jeunes… ".
Du coté des organisations sportives, la FIFA a adopté en 2001 un règlement relatif aux transferts internationaux de joueurs, qui proscrit, sauf exceptions limitativement énumérées, les transferts de joueurs de moins de 18 ans2. Ces dispositions doivent être intégrées dans les règlements de chaque association nationale. En 2009, elle a renforcé ce règlement, en créant notamment une commission chargée d'étudier chaque transfert international de mineur proposé à titre dérogatoire, en renforçant les contrôles sur les écoles de football et centres de formation, et en augmentant considérablement l'indemnité de formation pour les joueurs âgés de 12 à 15 ans, afin d'enrayer le recrutement de talents de plus en plus jeunes.
Pour sa part, l'UEFA a adopté une règle imposant aux clubs engagés en coupe d'Europe d'inclure dans leur équipe au moins 8 joueurs " formés localement ", dans le but de conforter les centres de formation nationaux et de limiter l'appel aux joueurs extérieurs. Le programme de la FIFA " Gagner en Afrique avec l'Afrique ", qui vise à renforcer les compétences et à professionnaliser les acteurs du football du continent africain, est aussi de nature à maintenir sur place le plus longtemps possible les jeunes talents. Ces mesures " témoignent d'une prise de conscience du monde sportif dans son ensemble pour lutter contre le trafic et l'exploitation des mineurs étrangers "3. L'organisation de la Coupe de monde sur le continent africain devrait contribuer à accentuer l'indispensable coopération des gouvernements et des autorités sportives sur le sujet.
Colin Miège, administrateur civil, co-directeur du Comité Scientifique de Sport et Citoyenneté