La clairvoyance d'irla la banquier...

Le rôle de "GS" au centre d'une polémique dans la presse américaine
LE MONDE | 24.09.09 | 14h45
Une soudaine avalanche d'articles a pris Goldman Sachs pour cible depuis le déclenchement de la crise financière, à l'automne 2008. Le plus sévère est paru le 2 juillet dans le magazine Rolling Stone. Dans son article intitulé "La grande machine à bulles américaine", le journaliste Matt Taibbi accuse la banque de manipuler Wall Street depuis... la Grande Dépression. Il rappelle que, dans son ouvrage classique La Crise économique de 1929, John Kenneth Galbraith, le plus célèbre économiste américain du XXe siècle, consacre un chapitre entier au rôle selon lui néfaste joué alors par GS.
Des années 1930 jusqu'à la récente bulle immobilière, en passant par la bulle des junk bonds des années 1980 ou celle des valeurs technologiques de la fin des années 1990, toutes seraient attribuables au machiavélisme de Goldman Sachs, qui, faisant de l'Etat fédéral son jouet, entraîne dans son sillage les autres investisseurs. Même dans la brusque poussée des cours pétroliers - de 60 dollars le baril à la mi-2007 à 147 dollars à l'été 2008 - et dans leurs retombées spectaculaires, Matt Taibbi retrouve la main occulte de GS.
Sa thèse est que Goldman "se positionne systématiquement au centre de bulles et vend des investissements qu'il sait être des saloperies". Tant que "l'escroquerie" fonctionne, la banque engrange des bénéfices énormes. Le jour où la bulle explose, l'Etat américain, "estropié et corrompu, (...) réécrit les règles" pour que Goldman s'en sorte au mieux. Les classes moyennes payent les pots cassés. "Tout l'argent que vous perdez va quelque part. Au propre comme au figuré : Goldman Sachs est cet endroit", conclut-il.
L'auteur anticipe même sur la prochaine bulle financière. Elle sera, écrit-il, centrée sur la titrisation des taxes carbone que GS promeut avec acharnement. Valeur estimée : plus de 1 000 milliards de dollars dans dix ans. Selon M. Taibbi, "Goldman Sachs n'aura pas besoin de tricher, le jeu est déjà truqué", toujours grâce à la complaisance des pouvoirs publics.
Tout cela paraît relever d'une vision "conspirationniste" dangereusement obsidionale qui voit en GS une hydre hideuse étendant dans l'ombre ses innombrables serpents. Beaucoup, dans les milieux financiers, ont estimé que l'article, "par son outrance, sert Goldman plus qu'il ne lui nuit".
Pourtant, des proches de Lloyd Blankfein rapportent que le PDG de GS en a été affecté.


Le 31 août, le magazine Time sonnait la contre-attaque. William Cohan, ancien banquier, qui prépare un livre sur Goldman Sachs, répondait à Matt Taibbi. Il intitulait son article : "La rage contre Goldman Sachs". Cohan y démontait avec humour la thèse qui attribue à la banque toutes les plaies, "de l'assassinat de l'archiduc Ferdinand à l'incendie du Reichstag ". Mais il admet que "Goldman est devenue l'entreprise la plus astucieuse, la plus opaque et la plus influente qui soit".
Il est acquis que GS a commencé à se retirer de la sphère des subprimes dès le début 2007, bien avant que les autres banques réagissent. "Si vous êtes conspirationniste, dit Cohan, vous concluez que Goldman a forcément bénéficié d'informations et manipulé les cours." Dans Rolling Stone, Matt Taibbi ne se prive pas de puiser dans ce registre : n'est-ce pas la décote par Goldman de deux hedge funds de Bear Stearns, dès avril 2007, qui a sifflé la fin de la récréation subprime ? C'est donc GS qui l'a suscitée.
"Mais si vous regardez les faits, poursuit William Cohan, vous observez que Goldman a réagi dès décembre 2006." David Viniar, son directeur financier, a constaté dix jours successifs de chute des titres subprime. C'est là que GS a décidé de "ramener le risque sur les titres hypothécaires le plus près possible de zéro". Conclusion de Cohan : "C'est parce que les gens de Goldman sont les meilleurs, leur gestion du risque supérieure aux autres, que l'Etat leur fait plus confiance."
Sylvain Cypel
Article paru dans l'édition du 25.09.09