Inspiré Michael WaltzerMarcoTri a écrit :
Car on ne gère pas des sportifs comme les employés ou les clients d’un groupe commercial. Les sportifs ont leurs propres règles qui sont la « raison d’être » de leur présence dans la société. Leur en imposer d’autres peut rendre inefficace le projet économique de rentabiliser le sport.
On ne peut pas d’une main utiliser l’éthique sportive pour générer des profits et de l’autre imposer au sport des règles qui lui sont étrangères. La plupart des expériences de gestion du sport par des personnes ou des méthodes issues du monde de l’entreprise se sont soldées par des échecs.
Nous n’aurons pas la cruauté de donner la liste des grands patrons français qui y ont englouti des fortunes. La cause de leur échec est d’avoir voulu plaquer les modalités éthiques de leur réussite, sur un monde qui vit de sa propre éthique. Pourquoi ?
Michael Walzer philosophe américain contemporain, définit autant de « sphères de justice » que de biens construits et recherchés par chacune des communautés d’une société. Chacun de ces biens a ses ressources et ses mécanismes internes, et obéit à ses propres critères de distribution. Par exemple, des biens aussi variées que santé, éducation, sport, religion ou pouvoir politique ne sauraient obéir au seul modèle de distribution de la sphère économique. Walzer considère qu'aucune des sphères de justice ne doit dominer les autres. Mais comment éviter que les mécanismes d'une sphère dominante ne deviennent ceux des autres comme dans la domination « tyrannique » de l’économie de marché sur la société ? Walzer ne condamne pas le marché, mais exige l’étanchéité entre différentes sphères, pour garantir la pluralité, la justice et la liberté. Ceci permet d’éviter les conflits qui apparaissent quand des biens sont utilisés pour en acquérir d’autres alors qu’ils leur sont hétérogènes, par exemple les critères de rentabilité de la sphère économiques dans le sport. Éviter les conflits mais aussi garantir une efficacité : le sport ne peut rapporter à l’entreprise que s’il reste indépendant de celle-ci. Le système du sport business ne peut pas survivre si, à côté et séparément de lui, le sport institutionnel, éthique, éducatif des pratiquants ne se développe pas pour et par lui-même. Si une entreprise veut gérer du sport, elle ne doit pas tuer sa poule aux œufs d’or, qui partout dans le monde, y compris aux Etats-unis, est une poule associative et à but non lucratif !
L’opération que le Groupe Lagardère veut faire sur La Croix Catelan peut se fourvoyer dans deux directions. Soit il reprend les activités du RCF omnisports, faisant cohabiter système fédéral et associatif, avec les règles de l’entreprise, en intégrant dans la société un monde étranger aux mécanismes économiques qui la régissent. Une fois encore un investisseur perdra de l’argent en espérant des bénéfices d’un système qui n’est pas destiné à en faire. Soit le monde sportif associatif et fédéral en est exclu et la visée est économique : acquérir un bien estimé 40 millions d’Euros, rapportant 7,5 millions par an, immédiatement exploitable pour son projet commercial. Dans ce cas, l’échec viendra des répercutions politiques décrites par Waltzer, car cette opération sera considérée comme un mélange de collusion politique, de conflit d’intérêt et d’abus de biens à la fois sociaux et immatériels.
Dans un cas comme dans l’autre l’opération est vouée à l’échec.

Citons, par exemple, la privatisation des chemins de fer et des services postaux en Angleterre, voulue par les libéraux qui ont vanté et appliqué les modèles commerciaux du privé pour gérer du service public. Bilan : 80 000 licenciements en dix ans (eh oui, c'est considérable, c'est beau le libéralisme

Citons encore, comme je l'ai entendu hier, le rapport de la CNC (commission nationale de la chirurgie) qui préconise la fermeture en France d'une centaine de blocs opératoires, sous le prétexte de leur non rentabilité. Comme si la vie ou la mort d'un individu repose désormais sur le bistouri de la rentabilité et de l'économie de marché.

C'est à nous, donc, de choisir le modèle social dans lequel nous souhaitons vivre, demain, dans dix ans, pour nos enfants et petits-enfants.
Un système à plusieurs vitesses qui dépendra de nos revenus, des richesses légués ou non par nos parents, de notre région géographique, de notre réseau relationnel, de notre faculté ou non à demander et à revendiquer.
Ou un système équitable et solidaire (qui est le nôtre actuellement, certes avec certains abus mais que le monde entier nous envie) où pauvres, précaires et riches sont soignés, éduqués, scolarisés de la même façon.
Le sport, tout comme l'éducation et la santé (nous pourrions aisément les associer dans une même sphère d'intérêt tant les uns sont en symbiose avec les autres) est un service public, un droit, qui ne doit absolument pas être aliéné par le tout économique, pour le seul profit de quelques-uns au détriment du plus grand nombre.
Et outre la tentative de commercialisation des services, concernant la Croix Catelan, cela pose la question de la marchandisation voire du racket organisé des multinationales sur les biens publics...
