J'ai mis l'article du Monde car il me semble beaucoup plus nuancé et conscient des réalités du terrain que les je-sais-tout-parce-que-j'habite-près-d'une-forêt qui prétendent poster ici...
En plein confinement, les chasseurs sont autorisés à sortir pour tirer le sanglier, le cerf ou le chevreuil. Cette dérogation, prise dès le 31 octobre par le ministère de la transition écologique, puis déclinée dans chaque département par des arrêtés préfectoraux, vise un impératif de régulation du grand gibier. Elle n’a pas tardé à déclencher l’ire des associations écologistes, témoignant, comme l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages), du « sentiment d’injustice » de certains citoyens face à ce « passe-droit ». Mais elle a aussi fait des mécontents dans les rangs des chasseurs.
La mesure divise les fédérations, entre les chasseurs de grand gibier et les autres. Car seuls les sangliers et les cervidés sont explicitement visés par la circulaire ministérielle, en plus des espèces dites « nuisibles » (renard, fouine, corbeau, etc.). Leur population a en effet explosé ces dernières décennies. Selon les tableaux de chasse, le nombre de sangliers tués a été multiplié par vingt entre 1974 et 2018, atteignant plus de 750 000 aujourd’hui, pour une population de 2,5 millions animaux. Dans le même temps, le nombre de cerfs et chevreuils tués a plus que décuplé.
Or, ces espèces, désormais abondantes, entrent en conflit avec les activités humaines, occasionnant surtout d’importants dégâts pour l’agriculture et l’exploitation forestière.
Seule la pression de la chasse permet aujourd’hui de contrôler leur population. Et c’est justement aux mois de novembre et décembre que la saison des fusils est à son apogée. « Si ces milliers d’ongulés ne sont pas tués d’une manière ou d’une autre cette année, les dégâts et leurs coûts vont être colossaux », admet Jean-Michel Gaillard, directeur de recherche au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive du CNRS.
En dehors de cette mission de régulation, les chasses « de loisir » n’ont, en revanche, pas été autorisées, au grand dam du monde cynégétique. Multipliant les vidéos, communiqués et par le biais d’une lettre ouverte, le président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Willy Schraen, n’a de cesse de demander un élargissement de la dérogation à d’autres espèces.
Sa fédération du Pas-de-Calais a d’ailleurs émis le souhait de chasser le lièvre, le faisan, le pigeon, ou encore les oiseaux d’eau – au motif, pour les premiers, des dégâts agricoles, et pour les seconds, du contrôle de l’épidémie de grippe aviaire en cours. Ces revendications ont aussi fleuri dans la Somme, où les chasseurs de gibier d’eau se sont rassemblés par centaines début novembre, afin de manifester leur frustration.
Dans le Gers, la fédération a décidé de boycotter la dérogation, n’ayant pas reçu de réponse favorable à ses « demandes étayées (…) de pouvoir tout chasser ». Dans les Landes, « en cette saison, il y a d’habitude une effervescence autour de la chasse de la palombe, des alouettes, du canard. Pourquoi ne pourrait-on pas profiter de l’heure de loisir autorisée pour chasser, tout seul, ces espèces ? », interroge le président de la fédération, Régis Hargues.
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Si ces dernières demandes n’ont pas été entendues, « plusieurs préfets ont été plus loin que la consigne du ministère, en autorisant des espèces qui ne sont ni des sangliers, ni des cervidés, ni des espèces classées “susceptibles d’occasionner des dégâts” », note Madline Rubin, directrice de l’Aspas. L’association a listé les arrêtés autorisant par exemple la chasse au mouflon en Lozère ; au chamois dans le Territoire de Belfort ; au cormoran en Loire-Atlantique ; ou encore le piégeage du blaireau en Charente-Maritime. Elle prépare, avec la Ligue de protection des oiseaux, une vingtaine de recours en référé contre ces arrêtés.
Au-delà de ces diverses chasses, les chasseurs de grand gibier eux-mêmes digèrent mal de voir leur pratique strictement réduite à un rôle de régulation au service de l’Etat. « On accepte volontiers cette mission d’intérêt général, précise Régis Hargues, dans les Landes. Mais la chasse, ce n’est pas que ça, c’est un plaisir, des traditions… On le prend mal si on nous dit qu’on n’est bons qu’à mobiliser une armée de bénévoles pour atteindre un équilibre agro-sylvo-cynégétique, et à payer. »
En arrière-plan, c’est un vieux débat qui resurgit : les chasseurs doivent-ils être tenus responsables de la prolifération du grand gibier, et des dégâts qu’ils causent ? Doivent-ils, en conséquence, payer seuls la facture ? Ce sont actuellement leurs fédérations qui indemnisent les agriculteurs pour ces dégâts – une somme qui s’est élevée à 77 millions d’euros cette année, selon la FNC (tous frais compris, notamment les clôtures pour protéger les cultures). La situation financière devient de plus en plus tendue pour ces fédérations, qui voient, en parallèle, leurs effectifs s’éroder. Le partage de ces frais est, pour elles, une revendication majeure.
Néanmoins, si les chasseurs sont tenus à cette mission de régulation – aujourd’hui mise en évidence par les restrictions sanitaires –, c’est qu’ils portent à l’origine une responsabilité dans la croissance des sangliers et cervidés. « Ce phénomène n’est pas entièrement naturel », explique le chercheur Jean-Michel Gaillard. Concernant le sanglier par exemple, l’espèce est certes particulièrement prolifique, et adaptable. Mais elle a aussi été favorisée par divers facteurs : hybridation avec des cochons d’élevage, enclos de chasse privée d’où se sont échappés des animaux, excès d’agrainage (nourrissage artificiel dans leur milieu), consignes de tir pour épargner les laies reproductrices… Un rapport parlementaire de mars 2019 relevait cette ambivalence, selon laquelle « les fédérations des chasseurs ne souhaitent pas une réduction sensible des populations de sangliers, qui provoquerait une nouvelle chute du nombre de porteurs de permis ».