Longchamp (again)

Que faire pour aller plus vite, plus loin, plus longtemps? Ici on débat de tout ce qui touche de près ou de loin à la préparation physique et mentale (y compris les clubs).
Silver0l
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Longchamp (again)

Message non lu par Silver0l »

Un petit compte-rendu d'entraînement pour les longues soirées d'hiver - pour rebondir après un post précédent sur Longchamp.

Merci de ne pas chambrer pour les allures indiquées. Oui, je sais, je suis un pimpim, mais y a que le plaisir qui compte, ou non?

-- Olivier



Parfois, le Dimanche, en hiver, quand le temps est incertain, nous délaissons les bucoliques vallons de Chevreuse pour rouler à Longchamp.

Longchamp. Le temple du cyclisme parisien. Une boucle de 3,6 km autour de l'hippodrome, des centaines de cyclistes qui tournent. L’ambiance de Longchamp…

Ce matin, les consignes de Gérard sont claires. Après l'échauffement, accélérations progressives. Plus un km/h à chaque tour, jusqu'à ce que mort s'ensuive... On s’accorde 2 km/h de moins dans les 500m de montée du faux plat, mais 2 km/h de plus dans la descente!

Nous plongeons dans le grand tourbillon.

Les premiers tours se pédalent en souplesse. Départ à 23 km/h. On roule avec les papis et les mamies du XVIème, de sortie dominicale sur leur bicyclette Singer chromée, les gamins en VTT, quelques rollers perdus au milieu des cyclistes, les cyclotouristes, les randonneuses avec garde-boue et sacoches... Discussions animées, potins du week end… Accélération progressive.

Quelques tours plus tard, vers 27 km/h, le paysage cycliste commence à changer : les rollers et la plupart des VTT sont désormais des obstacles à contourner habilement. Encore quelques jeunes qui essayent de s'accrocher en VTT, et surtout les cyclistes du dimanche, sur leur vélos bien bichonnés. Quelques antiquités dans le peloton, passages de vitesse sur le cadre, tubes Reynolds en acier fin, freins Mafac et dérailleurs Huret, moustaches et cheveux grisonnant…

L'allure continue d'accélérer, 30-32 km/h, ça devient sérieux. Le peloton s’est fait plus compact. Pas plus de 20 cm d'écart entre les roues, pour profiter à fond de l'effet d'aspiration. Les réflexes sont affûtés, les plus faibles ont abandonné la meute. Les relais s'enchaînent au millimètre. Une main qui se balance dans le dos, un doigt pointé, un signe furtif mais impératif des leaders indique un obstacle: un trou dans la chaussée, un VTT attardé, un roller, un ahuri suicidaire qui n’a pas compris qu’à Longchamp on tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, ou un triathlète qui travaille ses enchaînements en course à pied…. La file se déboîte à l'unisson: chacun sait qu'à cette vitesse, et compte tenu du faible écart entre les cyclistes, il n'a qu'une fraction de seconde pour réagir. A cette allure, le peloton s'anime d'une existence, d’une personnalité et d’une volonté propres. Il réagit désormais comme un être organique, une entéléchie protéiforme et souple, reptile dotée d'intelligence, enveloppant l’obstacle, irréfragable, bravant les éléments. De l'intérieur, la sensation est prégnante. L'individu se dissout au sein du peloton, devient partie intégrante d’un tout formidablement plus puissant, véloce et efficace que la somme de ses parties, une organisation symbiotique entièrement vouée à l'optimisation de la performance. La désindividualisation des cyclistes, et leur réincarnation collective au sein du peloton, est encore exacerbée par la disparition insensible des traits individuels. Plus ça roule vite, plus les guidons sont bas, les selles hautes. Les têtes ont plongé, on ne voit plus que des dos roulant en cadence. Les yeux ont disparu derrière les lunettes réfléchissantes, car à cette allure, et sans protection, le vent ferait pleurer, les têtes sont casquées, car chacun sait qu’un crane heurtant un trottoir à cette allure éclaterait comme une noix. Un homme est mort, ici, il y a 15 jours. Les maillots en coton, les baggys, les survêtements, K-way et autres anoraks ont laissé la place aux tenues en goretex et en lycra, enveloppantes, respirantes et aérodynamiques, marquées aux effigies des sponsors des clubs de la région. Ils sont tous là, ceux de Puteaux, de l'ACBB, de Nanterre, de Meudon, de Vélizy, ceux du 92, du 78 et du 93... Sur les vélos, le sombre reflet des tresses de carbone a progressivement remplacé l'émaillage coloré et tapageur des tubes en aluminium. Tranchant sur le carbone, l'aluminium anodisé des plateaux et dérailleurs Shima et Campa étincelle dans le soleil hivernal, réminiscence fantasmée de l’éclat des glaives des gladiateurs dans l’arène. La tension est perceptible. Malgré le froid piquant, la sueur commence à perler sous les casques. Les discussions se sont tues, chacun économise son souffle pour tenir le rythme. Les coeurs battent, de plus en plus fort. Les sens en alerte, chacun est concentré sur sa conduite, le moindre écart, la moindre inattention pourrait provoquer la chute collective du peloton. Désormais, on n'entend plus que le cliquetis sec des vitesses qui s'enclenchent à l'entame du faux plat, les souffles qui s'accélèrent, le vent qui maintenant siffle autour des hommes et des vélos, et l’air glacé qui vibre en résonance avec les machines et les muscles. De temps en temps, le sourd vrombissement continu d'une roue lenticulaire vient nous rappeler qu'un triathlète sérieux est parmi nous. Un coup d'oeil aux instruments: un peu plus d'une heure qu'on roule, 33 km/h, 78% de la fréquence cardiaque max, fréquence de pédalage à 86 tours par minute: les paramètres sont sous contrôle. Satisfaction du geste maîtrisé. Ne pas oublier de s'hydrater. Continuer d'accélérer. 35 km/h. Il y a un VTC parmi nous. ON ROULE A 35 ET IL Y A UN TYPE EN VTC DANS LE PACK!!! La honte! Tout ça pour ça! Sus à l’intrus ! Accélérer encore. De plus en plus, nos maillots animent le peloton, prennent les relais pour imprimer au peloton un rythme de marche conforme à notre plan d'entraînement. Progressivement, le cardio est monté. 83%, 86%, 90%... A 39 km/h, je me retrouve devant. Je sais que je ne pourrai plus tenir très longtemps, 5 minutes, pas plus d’un tour. A cette allure, l'air constitue un véritable mur aérodynamique, que seule une débauche de puissance permet de franchir, car les lois de la physique sont implacables, qui voient la puissance à appliquer augmenter au cube de la vitesse! Rouler en tête à cette allure impose une dépense d'énergie faramineuse. Calé sur le prolongateur, en position aéro, ce que la tacite, mais ô combien rigoureuse, loi du peloton n’autorise qu’à l'homme de tête, il est temps de faire parler les watts, jusqu'au dernier, jusqu'au dernier des 350W de ma Puissance Maximale Aérobique! Le cardio s'affole: 93%, 94%, 95%... Garder suffisamment de lucidité pour éviter les attardés, qui arrivent à toute vitesse… Garder sa lucidité, et anticiper, malgré la tête dans le guidon, la dette d’oxygène qui s’accroît, les ischios et les quadris déchirés. Tenir encore la montée, jusqu'en haut, jusqu’à l’explosion, orgasmique... en danseuse, sans laisser le compteur redescendre.

Ca y est je suis au bout. Au bout de la montée. Au bout de mes forces. A bout de souffle. Au bout de mon coeur.

Le cycliste, humain, si humain, est mû par les deux pulsions fondamentales: Eros, pulsion de vie, est amour, plaisir, jouissance et joie, mais Thanatos, pulsion de mort, symbolise la colère, la douleur, la souffrance, la destruction et la mort. De même que le scorpion signe sa fin en piquant la grenouille qui le porte, de même le cycliste ne peut s’empêcher de braver le danger et de rouler vers la souffrance, car telle est sa nature profonde.

Se relever. Se laisser absorber par la rassurante enveloppe du peloton. Se laisser doubler. Progressivement ralentir.

Retour au calme. Un petit tour en moulinant en souplesse, reconstitution de notre groupe qui s'était effiloché au fil des tours. Récupération.

Vraiment, une bonne séance! Il ne nous reste plus qu'à revenir à la maison, en passant par Boulogne, le toujours dangereux Pont de Sèvres, et enfin la bosse des Bruyères, qui brûlera nos ultimes réserves glycogéniques, avant de prendre une douche bien méritée - et d'affronter les quolibets narquois de nos proches: "c'est pas mortellement chiant de tourner en rond pendant deux heures et demie...". Que Dieu leur pardonne, car ils ne savent pas de quoi ils parlent!
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kent
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Message non lu par kent »

:P QUEL LYRISME :!:
Quitte à courir à 11 km/H autant que se soit sur un I.M
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atari
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Message non lu par atari »

énorme!! De quel club es tu ?!
Augustin
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longchamps

Message non lu par Augustin »

Tres belle prose, n'hésites pas à nous faire partager d'autres de tes récits d'entrainements ou de courses!
Je dis ce que je pense et je fais ce que je dis: L'IM une fois que l'on y a goûté...
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Sport_Addict
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Message non lu par Sport_Addict »

+1 ! Bon, c'est un peu 'excessif' et fortement romancé, mais tout de même bien plaisant à lire !

Ca me rappelle la série de nouvelles sur le sport qui étaient publiées cette été dans le mag' de l'Equipe (le samedi) ; avant de les lire j'étais toujours scpetique et puis finalement bien souvent conquis !

.
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Like the dolphins, like dolphins can swim...
LA COMETE
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Vraiment super Silver,

Pres de tokyo, nous avons aussi notre longchamp a nous.
Et tous les dimanches ou presque :oops: c est la meme musique en coeur

Nous nous defoncons comme des fous sur nos velos


surtout ne t arrete pas!
:sm21:
le tout est de finir.
Solarberg
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Re: Longchamp (again)

Message non lu par Solarberg »

Silver0l a écrit : Un homme est mort, ici, il y a 15 jours. !
Info ou intox ??? Comme l'autre fois, en discutant avec un cycliste qui vit à côté du Ventoux, et qui me sors qu'il y a chaque année plusieurs morts par an sur le Ventoux !! ???? :shock:
Silver0l
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Re: Longchamp (again)

Message non lu par Silver0l »

Solarberg a écrit :
Silver0l a écrit : Un homme est mort, ici, il y a 15 jours. !
Info ou intox ??? Comme l'autre fois, en discutant avec un cycliste qui vit à côté du Ventoux, et qui me sors qu'il y a chaque année plusieurs morts par an sur le Ventoux !! ???? :shock:
Je ne sais pas, c'est Badd qui me l'a dit - à la piscine de Puteaux!

-- Olivier
Badd
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Message non lu par Badd »

malheureusement il y'a bien eu un mort à longchamp le 1er ou le 11 novembre.
un vieux monsieur qui roulait sans casque et qui a tapé contre le trottoir en face du stade de rugby de l'ACBB.
ce n'est pas le premier et certainement pas le dernier.
etant donnée l'allure du peloton certains jour de beau temps et vu ce que ce (ces) peloton(s) croisent comme Objets Roulants Non Rapides les risques sont de plus en plus énormes.
J'en suis à me demander s'il n'est pas préférable de laisser passer les gros groupes et de rouler vers 12h-13h plutot que 10-11h.

superbe prose celà dit, ça donne envie d'aller rouler là, mais c'est lundi et il pleut ...
je ne fais pas du triathlon, je compense ...
Badd
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Message non lu par Badd »

juste un truc à rajouter à cette magnifique prose.
je pense qu'une des manières d'éviter les catastrophes à l'avenir est d'éviter de se mettre trop dans le rouge à longchamp par jour de grande foule.
personellement j'évite de passer la barre des 80-85% pour garder la lucidité nécessaire au reflexes, ralentissements ou même retours à la maison.
je ne fais pas du triathlon, je compense ...
Silver0l
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Message non lu par Silver0l »

Badd a écrit :juste un truc à rajouter à cette magnifique prose.
je pense qu'une des manières d'éviter les catastrophes à l'avenir est d'éviter de se mettre trop dans le rouge à longchamp par jour de grande foule.
personellement j'évite de passer la barre des 80-85% pour garder la lucidité nécessaire au reflexes, ralentissements ou même retours à la maison.
Tu as raison, mais des fois on se laisse emporter par l'enthousiasme... Ceci dit, être bien conscient que l'on perd sa lucidité au delà de 85% est déjà un premier pas pour la préserver.

-- Olivier
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tseusitchu
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Message non lu par tseusitchu »

Pour ce récit de passionné , je n'aurais qu'un mot : merci !

Et au diable l'auto-censure cardiofréquencimétrique !!! Quand on se fait plaisir , à vélo ... ou ailleurs , ça me semble déplacé de regarder sa montre . Non ?

:sm6:

p.s. si tu n'y vois pas d'inconvénient , je te gratifie d'un + 1
:wink:
Dust
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Message non lu par Dust »

Badd a écrit : personellement j'évite de passer la barre des 80-85% pour garder la lucidité nécessaire au reflexes, ralentissements ou même retours à la maison.
soit entre 20 et 25 km/h :lol:
quant a la lucidité de Badd sur un vélo c'est GRANDIOSE !!!!


PS: au lieu de passer ton temps sur le net pense a tes poignées d'amour et va rouler fénéant !!!!
Juste un grain de poussiére, un fils de la terre et du vent...
Badd
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Message non lu par Badd »

Dust a écrit :

PS: au lieu de passer ton temps sur le net pense a tes poignées d'amour et va rouler fénéant !!!!
petit, petit, petit :twisted:
dis donc toi ! tu as roulé ce week end ?
je ne fais pas du triathlon, je compense ...
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PLUDJAMB
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Message non lu par PLUDJAMB »

Beau style, on s'y croirait.
En revanche le coup de la montée orgasmique... sur une danseuse : oui ; mais en danseuse : j'y crois pas trop...
(faudrait que j'enlève le pulsemètre...ça marcherait peut être. Enfin, ça doit quand même être un peu gènant en groupe, non ? ou alors avec un cuissard en latex...faut voir...)
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